tourisme – Tenzo Le Gastrocéphale http://tenzo.fr Sciences de l'alimentation Sun, 12 Jun 2016 08:01:52 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.5.1 Wymondham railway station http://tenzo.fr/articles/wymondham-railway-station/ http://tenzo.fr/articles/wymondham-railway-station/#respond Sun, 12 Jun 2016 08:01:52 +0000 http://tenzo.fr/?p=2103
Un morceau du patrimoine ferroviaire anglais à nouveau en activité.
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Wymondham railway station

12 JUIN 2016 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

 

Pour ce dernier article avant l’été, continuons dans notre tour du monde gastronomique et historique en train. Cette semaine nous vous invitons au Royaume-Uni sur les traces d’une ancienne gare restaurée, Wymondham railway station.

 

Durant la Révolution Industrielle, le Royaume-Uni a développé son circuit ferroviaire considérablement, permettant aux centres économiques majeurs d’être connectés entre eux, tout en sortant de l’isolement villages et villes à population moyenne. Cette expansion sur le territoire permit la circulation des personnes, des marchandises, ce qui contribua à relancer le tourisme et le commerce, tout en créant de l’emploi. Les années prospères virent une accélération du niveau de vie à tous les niveaux sociaux et le voyage faisait désormais partie du quotidien.

 

Par conséquent les gares ferroviaires se devaient de proposer à leurs voyageurs des services tels qu’un lieu d’attente, l’hébergement avec la construction d’hôtels attenant à la gare dans le cas des grandes villes, par exemple Edimbourg et le North British Hotel (désormais Balmoral Hotel)1 construit en 1902, des divertissements avec des kiosques à journaux et le restaurant/tea-room, parfois simple buffet ou vente à emporter.

 

Restaurant du North British Hotel, 1930, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HO_83, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Restaurant du North British Hotel, 1930, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HO_83, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Ces lieux de sustentation étaient fréquents dans les grandes gares. Ainsi Waverley station à Edimbourg proposait au menu de son buffet un service rapide à emporter comprenant des repas légers et sandwichs, soupes et gâteaux accompagnés d’une boisson; on pouvait également avoir un repas complet avec un service à la table dans le restaurant de la gare, et un service de haute gamme dans le restaurant de l’hôtel destiné à une clientèle aisée.

 

À échelle inférieure, les gares de villages offraient, lorsqu’elles le pouvaient, un salon de thé attenant à la salle d’attente, voire un restaurant, bien loin des fastes de grandes villes. La gare de Wymondham2 dans le Norfolk illustre parfaitement les effets des développements technologiques et industriels sur la population britannique. À l’instar de ses villes voisines, Wymondham a connu son heure de gloire à l’arrivée du chemin de fer. La gare employait près de cinquante personnes officiant dans divers départements tels que guichetier, agent de signalement, serveur, conducteur de train. De part sa localisation sur le circuit ferroviaire, la ville était devenue un incontournable pour les entreprises qui voyaient là un centre d’exportation de leurs produits à échelle nationale, et donc une raison de s’y implanter. Wymondham participa également à aider durant la Seconde Guerre Mondiale de part sa localisation.

 

Comptoir du buffet de Waverley, 1947, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HR_105, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Comptoir du buffet de Waverley, 1947, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HR_105, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Cependant dès 1945 le développement et la démocratisation de l’automobile annoncèrent la fin de la prospérité du chemin de fer et ses gares, fléau qui toucha le pays durant vingt longues années. En 1969, seules les cargaisons de fret voyageaient sur la ligne Wymondham-Forncett, puis elle fut définitivement fermée en 1989. La ligne reliant la Wymondham à Londres est restée active. Les conséquences pour la gare de Wymondham furent telles qu’en 1967, tous les employés hormis l’agent de signalement, furent licenciés, la gare n’étant plus qu’une gare d’arrêt. La gare fut laissée à l’abandon, n’ayant plus de personnel.

 

À la fin des années 1980, David Turner, entrepreneur local, décida de racheter le bâtiment à la compagnie British Rail afin de le restaurer. En 1989, la gare ouvrit à nouveau, composée d’un salon de thé et restaurant, d’un magasin de pianos, le tout décoré avec des objets de gare de 1845 collectionnés par le propriétaire.

 

Restaurant Brief Encounter, Wymondham, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

Restaurant Brief Encounter, Wymondham, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

L’endroit propose aux voyageurs et autres personnes de passage dans son établissement un restaurant-buffet composé de café et petit-déjeuner pour le voyageur matinal, de déjeuner cuisiné sur place à base de produits locaux, et d’un thé gourmand l’après-midi.
Turner choisit le thème du film Brève Rencontre de Noël Coward (1945), ironique pour une gare dite “de passage” mais souhaitant certainement voir les rencontres entre passagers durer plus longuement.

 

Un pari réussi puisque depuis son ouverture, Brief Encounter (devenu Station Bistro) fût récompensé au niveau national pour sa table et son espace commercial. La gare fût également nominée pour le prix de meilleur buffet de gare. Au-delà de prix nationaux, Wymondham station retrouva ses lettres de noblesse grâce aux nombreuses visites de personnalités britanniques et internationales, suscitant un intérêt général pour la ville et son “attraction”.

 

Faites-y un saut cet été, replongez-vous dans l’Histoire le temps d’un passage gourmand.

1. http://www.networkrail.co.uk/edinburgh-waverley-station/history/

2. Wymondham: bourgade historique dans le comté du Norfolk, Royaume-Uni.

Bibliographie

 

∴Biddle, Gordon, The railway heritage of Britain: 150 years of railway architecture and engineering, Studio editions, 1990.

 

∴Wills, Dixie, Ten of the best railway cafes, the Guardian, 12 Mai 2009, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

 

∴Wymondham Station History, extrait du documentaire the Story of Wymondham Historic Railway Station, Wymondham Heritage Society, 1992.

 

∴Wymondham’s Brief Encounter Restaurant, Tales from the Country, ITV, diffusé le 12 Avril 2008.

 

∴Correspondance avec David Turner, Août 2013.
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La construction d’un patrimoine alimentaire: l’exemple tourangeau – par Nicolas Raduget http://tenzo.fr/articles/1636/ http://tenzo.fr/articles/1636/#respond Fri, 12 Feb 2016 23:20:37 +0000 http://tenzo.fr/?p=1636
Comment, dans un département qui n’a pas d’identité alimentaire aussi marquée que d’autres en France, avec des plats emblématiques que la choucroute ou la bouillabaisse, s’est-on attaché depuis la fin du XIXe siècle à reconnaître et diffuser les productions locales ? Quels sont les acteurs impliqués et les stratégies employées qui ont abouti à la promotion actuelle ? La problématique ainsi posée, il s’agit en filigrane de voir comment, de la fin du XIXe siècle à la fin du suivant, le patrimoine alimentaire de la Touraine se construit.
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Nicolas Raduget
Berrichon d’origine, Nicolas Raduget est docteur en histoire contemporaine. Ses études à l’Université François-Rabelais l’ont d’abord mené jusqu’à un master d’histoire politique sur l’influence et l’action de l’ancien député-maire de Tours, Camille Chautemps. Son goût pour l’archive et les bibliothèques l’a ensuite incité à s’engager dans une thèse CIFRE avec le Conseil général d’Indre-et-Loire, visant à étudier les conditions de l’émergence du patrimoine alimentaire de la Touraine. Désormais chercheur indépendant (qui répond aux mails assez vite), il est par ailleurs rédacteur en chef adjoint d’un site associatif consacré à la bande dessinée.

La construction d’un patrimoine alimentaire: l’exemple tourangeau

14 FÉVRIER 2016 | PAR NICOLAS RADUGET

En soutenant récemment une thèse sur les acteurs et les voies de la mise en valeur du patrimoine alimentaire de la Touraine des années 1880 à 1990, sous la direction du professeur Jean-Pierre Williot, à l’université François-Rabelais, j’avais la lourde tâche de résumer brièvement cinq ans de lectures et de dépouillements. Tenzo m’offre aimablement la possibilité d’en faire de même, qui plus est le jour de la Saint-Valentin, histoire de symboliser la relation fusionnelle du jeune chercheur avec son sujet d’étude !

Le patrimoine alimentaire implique des produits, bruts ou transformés, des pratiques et un savoir-faire qui leur sont liés, et qui constituent un héritage culturel. C’est ce que l’on peut écrire en essayant de résumer la pensée de Jacinthe Bessière et Laurence Tibère, qui ont défini plus longuement ce concept complexe.[1] Aujourd’hui, à l’heure du tout patrimoine, la notion s’est considérablement développée, ce qui n’était pas le cas à la fin du XIXe siècle. Pour autant, l’absence du terme ne signifie pas l’absence de l’idée, ce qui justifie à mon sens l’emploi de l’expression dans ce travail. En effet, l’essor des cuisines régionales a progressivement érigé les spécialités locales en éléments remarquables de la nation. Les produits qui, sous l’Ancien Régime, servaient à asseoir la notoriété de certaines villes – Philippe Meyzie l’a montré avec sa thèse sur le Sud-Ouest aquitain[2]–, franchissent un nouveau cap. On parle en effet au début du XIXe siècle d’une « monumentalisation » de la spécialité alimentaire, qui place l’aliment sur la même marche qu’un château ou une cathédrale. L’Almanach des Gourmands de Grimod de la Reynière a en cela été surnommé le « Guide Grimod » par Pascal Ory puis Julia Csergo[3]. La question d’un processus patrimonial apparaît dès lors tout au long de l’époque contemporaine, chaque région incluant sa gastronomie dans les caractéristiques importantes de son identité.

La spécificité d’un espace, la Touraine

Le choix de la Touraine comme entité géographique est dû au fait que, depuis la Renaissance, la contrée est surnommée le « jardin de la France », héritage de la présence royale en Touraine qui en fait une terre fertile vantée pour ses fruits et légumes. En outre, actuellement, l’hédonisme gastronomique tourangeau fait la part belle, en dehors des vins, produits les plus connus, à la charcuterie (rillettes, rillons), aux volailles aux couleurs contrastées (géline noire, oie blanche), au fromage de Sainte-Maure-de-Touraine ainsi qu’aux douceurs sucrées comme la poire tapée et le macaron de Cormery. Dès lors, la question de l’appropriation de ces produits par les acteurs locaux était stimulante.

Source: DELAMARE DE MONCHAUX (Comte), Toutes les poules et leurs variétés : description, standard, points, élevage, Paris, Amat, 1924.

Source: DELAMARE DE MONCHAUX (Comte), Toutes les poules et leurs variétés : description, standard, points, élevage, Paris, Amat, 1924.

Comment, dans un département qui n’a pas d’identité alimentaire aussi marquée que d’autres en France, avec des plats emblématiques que la choucroute ou la bouillabaisse, s’est-on attaché depuis la fin du XIXe siècle à reconnaître et diffuser les productions locales ? Quels sont les acteurs impliqués et les stratégies employées qui ont abouti à la promotion actuelle ? La problématique ainsi posée, il s’agit en filigrane de voir comment, de la fin du XIXe siècle à la fin du suivant, le patrimoine alimentaire de la Touraine se construit.

Une mise en patrimoine progressive

Une première période, s’échelonnant des années 1880 à la Grande Guerre, permet à la Touraine alimentaire de s’affirmer. La mise en lumière nationale permise par les Expositions universelles et incarnée par Paris déteint sur la province qui, elle aussi, cherche à s’exprimer avec faste. L’Exposition Nationale de 1892 marque la grande entrée de Tours dans cette valorisation contemporaine. La réputation de « jardin de la France » sert de moteur aux efforts locaux. Le jeu des récompenses, encourageant le mérite et le progrès, fait de l’événement un grand moment républicain, salué par le ministre en visite.

En complément de l’aspect politique, les conséquences économiques de la révolution industrielle engendrent un développement agricole et commercial au tournant du siècle. Le syndicalisme se développe en Touraine comme ailleurs. Les secteurs des vins ou des produits laitiers se structurent progressivement. Sous la conduite d’ingénieurs agronomes, comme le directeur des services agricoles, Jean-Baptiste Martin, un enseignement républicain très scolaire est prodigué aux cultivateurs pour qu’ils soignent leur travail. La fraude est combattue et la sauvegarde de certaines productions locales, comme le pruneau, est déjà en question. D’autres débouchés sont alors recherchés. Martin prend par exemple la direction du Club avicole de la Touraine à sa création, en 1909, et peuple les basses-cours d’une poule noire, la géline de Touraine. Elle symbolise la volonté locale d’innover pour mettre en valeur le territoire.

Folklore, régionalisme et promotion touristique

La perspective touristique nouvelle, plus ample, amène aussi au tournant du vingtième siècle certaines denrées de production domestique, comme les rillettes et le fromage de chèvre, à devenir des spécialités en tant que telles. Les cartes postales s’en emparent. Des jeunes filles en tenue typique sont immortalisées un pot de rillettes à la main, ou un panier garni des légumes du « jardin de la France ». Elles dégustent également les vins du cru qui occupent majoritairement l’espace promotionnel. Les spécialités alimentaires participent d’une mise en scène folklorique.

Source : AM Tours, 11Fi17-2882.

Source : AM Tours, 11Fi17-2882.


Source : AM Tours, 11Fi17-2904.

Source : AM Tours, 11Fi17-2904.

Intégrant les produits alimentaires parmi les richesses locales, le régionalisme, à son apogée entre les deux guerres, joue un rôle clé dans la création patrimoniale. Une date importante est le lancement, en 1921, de la Grande semaine de Tours par Camille Chautemps, qui cherche à faire de sa ville une capitale agricole et administrative, influente sur une large région « Centre Ouest ». Parallèlement à cela, la Touraine suit le développement alimentaire national. Les terroirs viticoles s’affirment un peu plus avec l’aboutissement de la démarche d’appellation d’origine. L’aviculture locale connait son moment de gloire, et avec elle la Géline de Touraine, qui rivalise avec les volailles de Bresse. Enfin, les premières marques de camembert de Touraine et de Sainte-Maure accompagnent dans les années trente, la progression de la fédération des coopératives laitières, qui part à la conquête de nouveaux marchés, toujours sous la houlette de Jean-Baptiste Martin.

Politique et économique, le régionalisme est enfin culturel, bon nombre de passionnés vantant les mérites d’une gastronomie tourangelle à travers la littérature. Aux côtés des écrits touristiques de Curnonsky ou de Marcel Rouff, pour qui la Touraine n’est qu’une simple étape du tour de France, des romanciers ou des médecins écrivent leur amour de la contrée, en insistant sur la bonne chère. Les bienfaits du pruneau sont célébrés, de même que la consommation du Vouvray et des autres crus locaux, avec la bénédiction des médecins amis du vin. Les éditions tourangelles Arrault jouent un grand rôle en se spécialisant dans les publications de ce type.

Source : SOPHOS, O, Les nobles vins de la Touraine, Tours, Arrault, 1937.

Source : SOPHOS, O, Les nobles vins de la Touraine, Tours, Arrault, 1937.

Pourtant, malgré les efforts de ces acteurs variés, certains produits, tels la poire tapée et le pruneau, ne résistent pas aux évolutions économiques et, faute de main d’œuvre, notamment, disparaissent. Le « jardin de la France » ne survit que dans les textes et dans l’imaginaire entretenu par le tourisme.

De la valorisation du territoire à la mode du local

L’entrée dans le second vingtième siècle inaugure enfin ce que nous avons appelé l’étrange cohabitation entre le productivisme et la valorisation locale. L’ère Jean Royer à la mairie de Tours s’ouvre en 1959, sur une période d’expansion au cœur des « Trente Glorieuses ». Les foires sont repensées, et la valorisation du terroir est alors en retrait au profit du seul territoire, désireux d’être une terre de congrès et d’accueil pour les industries. Les châteaux ont toujours la primeur s’agissant du tourisme mais les Anglais, notamment, sont des cibles privilégiés pour la diffusion des vins de Touraine. Le prince Charles a récemment montré, en recevant à Paris le prix François Rabelais, que la réputation des vins de Chinon et de Saint-Nicolas-de-Bourgueil n’a pas échappé aux plus hautes instances du Royaume. Un autre Charles, Barrier, qui obtient une troisième étoile Michelin en 1968, incarne la qualité de la restauration locale.

Subsiste également à cette période une forme de régionalisme teinté de folklore qu’illustrent la société d’originaires « la Touraine à Paris », et les confréries. Ces mouvements contribuent à entretenir un esprit humaniste et gourmand au « jardin de la France ». Ce n’est pas sans importance car c’est cette image, véhiculée par le tourisme, qui prime au moment où la standardisation est remise en cause. Lors des crises des années 1970, le local, de nouveau à la mode, a des effets rassurants. Les vins et le fromage incarnent le « terroir ». La décennie suivante les intègre à la démarche patrimoniale qui entame sa généralisation.

Programme de la Foire agricole de 1979. Source : AM Tours, 3F, Boîte 150, Foire agricole de l’Ouest européen 1979, Programme officiel.

Source : AM Tours, 3F, Boîte 150, Foire agricole de l’Ouest européen 1979, Programme officiel.

Conscients que la Touraine « était » riche d’autres produits, des passionnés dépoussièrent les spécialités oubliées. La géline de Touraine et la poire tapée redeviennent soudainement importantes, l’association des « Croqueurs de pommes » s’intéresse aux anciennes variétés de fruits, et sous le contrôle du directeur du laboratoire d’analyses, Jacques Puisais, on recherche le caractère originel des rillettes. Avant que les pouvoirs publics ne prennent, parfois, le relais, les relances d’anciennes spécialités semblent d’abord être le fruit d’un travail de consommateurs, de passionnés. La presse, à travers l’exemple du Magazine de la Touraine, contribue aussi à valoriser les richesses et à leur donner de l’importance.

Intérêts de la recherche et suggestions

Dès lors que le sujet renvoie à l’histoire économique, politique et culturelle, il faut veiller à la sélection des sources, pragmatique, qui sollicite « le talent du chercheur ».[4] La documentation trop importante – osons le néologisme et appelons ça la « dodumentation » en histoire de l’alimentation – peut avoir des effets contreproductifs. Sans revenir sur les sources classiques qui sont détaillées dans la thèse, disons un mot du recours à la littérature qui est une piste toujours intéressante. Les romans donnent un point de vue, renvoient une certaine image, différente de ce que l’on peut trouver ailleurs. Les œuvres de Maurice Bedel ou de René Boylesve témoignent par exemple qu’il existe un club des amoureux de la gastronomie tourangelle, désireux de la faire connaitre. Avant eux, Balzac renseignait sur les premières consommations urbaines des rillettes. Si Rabelais reste la référence ultime, son image étant associée jusqu’à une marque de biscottes, d’autres auteurs lui ont emboîté le pas à l’époque contemporaine. Les folkloristes, de Jacques-Marie Rougé à « la Ligouère de Touraine », formation musicale, ont joué leur rôle également. Le premier est encore cité comme référence dès lors qu’il s’agit d’évoquer les « traditions » locales. C’était aussi l’une des raisons d’être de cette thèse que de compléter l’apport des travaux d’érudits, dont la seule occurrence posait parfois problème au monde académique.

Le volet touristique de notre étude permet aussi de confirmer que l’influence extérieure dans la construction des cultures alimentaires est indéniable. La cuisine tourangelle, comme celle des autres régions, est en réalité une cuisine de représentations, stéréotypée, entretenue par les publications touristiques parisiennes et la littérature régionaliste. L’imaginaire et le regard extérieur sont au cœur de la construction patrimoniale.

Une autre observation doit être faite quant à la place de l’Indre-et-Loire dans la promotion nationale, pour tenter d’expliquer pourquoi le département reste relativement en retrait par rapport à d’autres… comme s’il baignait dans son propre cliché de la douceur de vivre et de l’insouciance. Les faits le montrent, les Tourangeaux ont plus souvent été dans la réaction que dans l’action. D’emblée, le « jardin de la France » se construit pourtant une réputation qui, au regard des discours, est peu modeste. Il a pour objectif ambitieux d’accueillir la première foire agricole française à l’époque de Chautemps, puis d’incarner « l’Ouest européen » sous l’ère Royer. À chaque fois, ses aspirations sont cependant contrariées, de la même manière que le titre de capitale de région, longtemps convoité, lui échappe au profit d’Orléans. C’est une preuve que la réputation ne fait pas tout.

La discipline historique, rendant compte de plusieurs césures, et confirmant le caractère évolutif du patrimoine alimentaire, permet d’avoir un regard différent ou complémentaire des principaux travaux sur cette question, qui émanent d’anthropologues et de sociologues.[5] S’ils encouragent avec bonheur l’interdisciplinarité, ils s’inscrivent dans le temps présent, pas forcément délimité, ce qui pose problème à l’historien dès lors qu’il cherche à comparer ses résultats. On ne peut donc qu’encourager les investigations historiques sur d’autres régions, cette thèse cherchant déjà à s’inscrire dans la lignée des chercheurs qui ont pris en compte cette dimension dans leurs travaux. C’est le cas par exemple de l’anthropologue Gilles Laferté pour la Bourgogne et de Claire Delfosse, en géographie, pour le fromage et le patrimoine de Rhône-Alpes.

Espérons pour finir que cette thèse puisse, au-delà de son apport scientifique, faire naître une action de valorisation locale pour certains produits, de même que les inventaires du patrimoine culinaire de la France se destinaient en partie à cela. C’est toute la question que de savoir si une étude universitaire objective sur la mise en valeur d’un patrimoine peut servir à sa valorisation effective. Les futurs projets de la collectivité locale ou de l’association Tours Cité internationale de la gastronomie y répondront sans doute.

Bibliographie

∴ ANDRIEUX, Jean-Yves, et HARISMENDY, Patrick (dir.), L’assiette du touriste. Le goût de l’authentique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2013.
∴ BÉRARD, Laurence, MARCHENAY, Philippe, HYMAN, Mary et Philip, et BIENASSIS, Loïc (dir.), L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France : produits du terroir et recettes traditionnelles, Région Centre, Paris, Albin Michel, 2012.
∴ CAMPANINI, Antonella, SCHOLLIERS, Peter, et WILLIOT, Jean-Pierre (dir.), Manger en Europe : patrimoines, échanges, identités, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011.
∴ HACHE-BISSETTE, Françoise, et SAILLARD, Denis (dir.), Gastronomie et identité culturelle française : Discours et représentations (XIXe-XXIe siècles), Paris, Nouveau Monde, 2007.
∴ MARACHE, Corinne, et MEYZIE, Philippe (dir.), Les produits de terroir. L’empreinte de la ville, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2015.
∴ THIESSE, Anne-Marie, Ils apprenaient la France : L’exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1997.
Pour consulter la thèse en intégralité:
RADUGET, Nicolas, Les acteurs et les voies de la mise en valeur du patrimoine alimentaire de la Touraine des années 1880 à 1990, thèse de doctorat d’Histoire (direction Jean-Pierre Williot), Université de Tours, 2015. [Bientôt consultable à la bibliothèque de l’IEHCA].

Notes de bas de page

[1] BESSIÈRE, Jacinthe, et TIBÈRE, Laurence, « Innovation et patrimoine alimentaire en Midi-Pyrénées », Anthropology of food [http://aof.revues.org/6759], n° 8, 2011.

[2] MEYZIE, Philippe, Culture alimentaire et société dans le Sud-Ouest aquitain du XVIIIe au milieu du XIXe siècle : goûts, manières de table et gastronomie, l’émergence d’une identité régionale, thèse de doctorat d’Histoire (direction Josette Pontet), Université de Bordeaux 3, 2005.

[3] ORY, Pascal, « La gastronomie », in NORA, Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, tome 3, Paris, Gallimard, 1997, p. 3752 ; CSERGO, Julia, « La gastronomie dans les guides de voyage : de la richesse industrielle au patrimoine culturel, France XIXe-début XXe siècle », In Situ [http://insitu.revues.org/722], n° 15, 2011, p. 3.

[4] MARROU, Henri-Irénée, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1975 [1954], p. 69.
[5] Voir notamment BESSIÈRE, Jacinthe, Valorisation du patrimoine gastronomique et dynamiques de développement territorial : le haut plateau de l’Aubrac, le pays de Roquefort et le Périgord noir, Paris, L’Harmattan, 2001 ; BÉTRY, Nathalie, La Patrimonialisation des fêtes, des foires et des marchés classés « sites remarquables du goût » ou la mise en valeur des territoires par les productions locales, thèse de doctorat de Sociologie et Anthropologie (direction Jean-Baptiste Martin), Université de Lyon 2, 2003 ; FAURE, Muriel, Du produit agricole à l’objet culturel. Les processus de patrimonialisation des productions fromagères dans les Alpes du Nord, thèse de doctorat de Sociologie et Anthropologie (direction Jean-Baptiste Martin), Université de Lyon 2, 2000.

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« Food on the Move » (01/05) La symbolique du manger en route http://tenzo.fr/articles/food-on-the-move-ep-0105-ou-la-symbolique-du-manger-en-route/ http://tenzo.fr/articles/food-on-the-move-ep-0105-ou-la-symbolique-du-manger-en-route/#respond Sun, 24 Jan 2016 09:25:30 +0000 http://tenzo.fr/?p=1490
L’éloignement entre domicile et lieu de travail soulève inévitablement deux questions pratiques et liées entre elles : d’une part celle du moyen de transport, d’autre part celle du boire et manger. Il en va de même des trajets plus longs, tels que ceux nécessaires pour atteindre des destinations touristiques. Ce premier épisode, centré sur l’Europe, est consacré à cette alimentation voyageuse et particulière qui rythme les aventures saisonnières.
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« Food on the Move » (ép. 01/05) La symbolique du manger en route

24 JANVIER 2015 | PAR GAELLE VAN INGELGEM

Food on the Move_Buffet de Gare_Pastiels

L’éloignement entre domicile et lieu de travail soulève inévitablement deux questions pratiques et liées entre elles : d’une part celle du moyen de transport, d’autre part celle du boire et manger. Il en va de même des trajets plus longs, tels que ceux nécessaires pour atteindre des destinations touristiques. Ces préoccupations sont universelles. Elles touchent toutes les populations, indépendamment des lieux ou des périodes historiques concernées. Mais surtout, elles ne sont pas aussi ponctuelles qu’elles n’y paraissent.

En voyage, éloigné de nos habitudes rassurantes, nos maniérismes deviennent pressants. On s’y confronte aux autres… et donc à nous mêmes, le regard de l’Autre participant à la redéfinission de soi.[1] Ce sont à ces habitudes alimentaires que nous allons nous frotter dans cette série décomposée en 5 épisodes, le tout formant un sujet riche d’enseignement sur des pratiques qui, loin d’être anodines et utilitaires, seront envisagées comme de véritables emblèmes symboliques et culturels.

Ce premier épisode, centré sur l’Europe, est consacré à cette alimentation voyageuse et particulière qui rythme les aventures saisonnières.

Au temps des auberges

Des voyageurs britanniques du Grand Tour aux touristes à la réputation douteuse des années 50, en passant par les excursionnistes alpins de la fin du XIXe siècle, tous ont pour point commun d’avoir dû envisager leurs options de ravitaillement lors de la planification de leur voyage.

À l’époque des trajets en diligence, les passages fréquents et arrêts forcés dans des relais de poste facilitaient la prise alimentaire. En effet, de nombreuses auberges s’étaient établies le long de ces routes sinueuses afin de ravitailler et offrir un lit aux voyageurs exténués.

Avec l’arrivée du chemin de fer, cette force de cohésion entre paysage et mobilité fut légèrement brouillée. Car si les rails étaient comme les routes d’autrefois ponctuées par des stations d’arrêt et temps de pause, ces infrastructures étaient aménagées pour ravitailler en charbon la locomotive et veiller au bon entretien du train, plus que pour sustenter et accueillir les passagers. Fort heureusement, la brièveté des temps de parcours des toutes premières lignes qui ne desservaient qu’un territoire très limité, ne laissait pas l’occasion aux ventres de crier famine.

Le wagon, la gare et le panier-repas

Toutefois, la donne changea rapidement. Dès le milieu du XIXe siècle, le nombre de lignes se mit à exploser dans tous les pays munis d’infrastructures ferroviaires avancées, que ce soit en France, en Belgique ou en Angleterre. Dès lors que les temps de parcours s’allongèrent, il a fallu trouver des solutions adéquates afin de ne pas mourir de faim. Rappelons tout de même qu’à cette époque, 24 heures d’avance étaient nécessaires pour espérer rejoindre Nice depuis Paris !

C’est alors que certaines lignes de chemins de fer se mirent à proposer des paniers-repas, afin de sustenter les voyageurs pendant leur périple. À partir des années 1880, des wagons-restaurants furent installés dans les trains par la Compagnie Internationale des Wagons Lits, créée à la même époque par Georges Nagelmackers. Ces services de restaurations à bord étaient similaires dans la plupart des trains circulant sur le territoire européen. Réservées à une certaine élite, du moins au départ, ces installations alimentaient notamment le trajet de l’Orient-Express.[2] Ils faisaient alors partie intégrante de l’expérience du voyage.

Intérieur d'un wagon-restaurant de l'Orient-Express

Pour les moins fortunés, le pique-nique était de mise, tout comme l’achat de nourriture auprès de vendeurs ambulants, proposant des mets sur les quais ou aux fenêtres des passagers affamés, qui n’avaient qu’à tendre le bras pour les attraper. L’image que Maupassant nous laisse d’un Boule de Suif déballant son casse-croûte dans une diligence peuplée d’inconnus peut sans difficulté se transposer à l’ambiance du compartiment de train, où le partage et la satisfaction devaient se mêler au désagrément du bruit et des odeurs issues de la malle des autres passagers. Cette intimité forcée est aussi celle de la confrontation avec l’altérité alimentaire, intrigante autant que rebutante.

Au calme et à la tranquillité du wagon contraste l’affairement de l’arrivée en gare. La caricature d’Honoré Daumier de 1852 intitulée « voyageurs affamés se précipitant vers le buffet d’une station » résume bien l’ambiance qui devait régner dans les premiers buffets de gare.

Honoré Daumier, "Voyageurs affamés se précipitant vers le buffet d'une station", 1852

“Le temps de sauter du train, d’avaler une chope et un beefsteack dans le premier restaurant, de pousser une tête dans les temples et les musées, de revenir à la gare pour reprendre le train suivant, et de recommencer à la ville prochaine la même tournée expéditive. On peut, grâce à ce procédé, toucher terre dans cent villes diverses, en moins de deux minutes. Ces voyageurs n’ont qu’une pensée: ne pas manquer le train.”[3]

Ce passage d’un guide du Touring Club de Belgique datant de la fin du XIXe siècle, illustre la mauvaise réputation qui entoure la pratique touristique effectuée par voie de chemins de fer. Ce rejet est lié à la soi-disant impossibilité offerte par le train de découvrir le patrimoine culturel des régions visitées, mais aussi leur patrimoine alimentaire. Rien de plus uniformisé qu’une chope et un beefsteack. C’était sans compter sur la volonté des tenanciers des établissements de restauration établis dans les gares – et aux alentours – de s’emparer d’un marché à haut potentiel: celui de la vente de produits alimentaires locaux, à laquelle le prochain épisode sera consacré.

Entre fast-foods et produits du terroir

Si aujourd’hui, la réduction généralisée des temps de trajet lors de nos déplacements, autant que la diffusion des chaines de restauration rapide ou les épiceries de nuit facilitent considérablement l’organisation de nos mouvements, certaines considérations demeurent. Que ce soit au quotidien, lors de trajets relativement brefs, comme en période de vacances, certaines variables continuent à titiller nos choix en matière alimentaire.

Il en va-t-ainsi du souci financier. Le prix des denrées proposées en gare, sur les aires d’autoroute ou dans les avions des compagnies low-cost peut servir de repoussoir pour certains consommateurs, préférant contourner ces dépenses jugées superflues dans le budget saisonnier. C’est alors que le traditionnel casse-croûte, préparé minutieusement à l’avance, vient rythmer le trajet des vacanciers.[4] Qui n’a pas le souvenir d’un repas englouti à la sauvette, attablé sur un banc en bordure de voie rapide, ou dans le compartiment familial d’un T.G.V., en partance pour le Midi. Les odeurs d’œufs durs légèrement trop cuits se mêlant à celles de la salade de riz ou du fameux taboulé sont pour certains comme une invitation au voyage… ou au souvenir.

Vient ensuite le sens de la responsabilité, lié à des considérations écologiques ou sanitaires. Difficile de « craquer » pour un fast-food en période festive, alors que beaucoup s’efforcent toute l’année d’éloigner leurs enfants de ces nourritures jugées néfastes pour l’environnement comme pour la santé. Finalement, l’explosion des allergies et intolérances alimentaires constitue un facteur important de prise de précaution lorsqu’il s’agit de planifier son départ. Les magasins spécialisés en produits bio ou sans gluten ne pullulent pas (encore) dans les aires de transits.

Mais surtout, la question de la diversité alimentaire continue à se poser lors de nos déplacements. Cette peur de l’inconnue – certes moins pressante à l’heure de l’uniformisation des modes de consommation – est aujourd’hui, plus que jamais, jugulée par une quête effrénée de découverte des particularismes alimentaires typiques, locaux et de préférence artisanaux.[5]

Section 1

[1] Massimo Montanari, Il cibo come cultura, Roma/Bari, Laterza, 2008 (2004).

[2] Eve-Marie Zizza-Lalu, Au bon temps des wagons-restaurants, Paris, La vie du Rail, 2012.

[3] Annuaire du Touring Club de Belgique, 1886.

[4] Julia Csergo (dir.), Casse-croûte. Aliments portatifs, repas indéfinissables, Paris, Autrement, 2001.

[5] Peter Jackson, « Local consumption cultures in a globalizing world », Transaction of the institute of British geographers, New series, vol. 29, Juin 2004, pp. 165-178.

 

 

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Alors que le lien entre gastronomie et tourisme ne date pas d’hier, l’expérience culinaire est de plus en plus considérée comme objectif principal du voyage organisé. Les expressions pour désigner ce phénomène sont variées : du « culinary tourism » américain à l’ « enoturismo » italien, en passant par l’agrotourisme français ou le « tasting tourism » anglais.
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Voyage en terre inconnue: le tourisme gastronomique comme objet de distinction sociale

27 DECEMBRE 2015 | PAR GAELLE VAN INGELGEM

Voyage en terre inconnue_Tourisme gastronomique et distinction sociale_Van Ingelgem_Tenzo

Alors que le lien entre gastronomie et tourisme ne date pas d’hier, l’expérience culinaire est de plus en plus considérée comme l’objet principal du voyage. Les expressions pour désigner ce phénomène sont variées : du « culinary tourism » américain à l’ « enoturismo » italien, en passant par l’agrotourisme français ou le « tasting tourism » anglais. Ce sujet aux multiples facettes est défini par Lucy M. Long comme

« the intentional, exploratory participation in the foodways of an other–participation including the consumption, preparation, and presentation of a food item, cuisine, meal system, or eating style not one’s own »[1]

Ainsi, le tourisme culinaire fait référence à toute une série d’activités, allant du fait de manger dans un restaurant ethnique, à la compilation de nouvelles recettes de cuisine, en passant par l’achat de produits alimentaires. Leur point commun ? La confrontation avec l’ « Autre », l’étrangeté ; cette confrontation pouvant être toute relative, voire carrément fantasmée.

Bibliography

 

∴ BOURDIEU (P.), Distinction. A social critique of the judgement of taste, Routledge, London, 1984.

 

∴ HJALAGER (A.-M.), RICHARDS (G.) (dir.), Tourism and gastronomy, Routledge, London, 2002.

 

∴ LONG (L. M.) (dir.), Culinary tourism, University press of Kentucky, Lexington, 2003.

 

∴ MOWFORTH (M.), MUNT (I.), Tourism and sustainibility. New tourism in the third world, Routledge, London, 1998.
∴ JOHNSTON (J.), BAUMANN (S.), “Democracy versus Distinction: A Study of Omnivorousness in Gourmet Food Writing.” American Journal of Sociology 113, no. 1 (July 2007): 165–204.

Le bon goût constitue dans la plupart des cultures un symbole de distinction sociale.[2] Acte de commensalité, le moment du repas rassemble et témoigne des habitudes alimentaires de chacun qui elles-mêmes reflètent notre position au sein du groupe. Ainsi, nos choix en matière alimentaire jouent un rôle fondamental dans cette logique de distanciation socio-culturelle. Ceux-ci varient dans le temps et l’espace. Pour les classes aisées occidentales, le simple fait de se rendre au restaurant constituait, jusque dans les années 50 au moins, un moyen de se différencier du reste de la population. De son côté, la démocratisation de la pratique touristique tout au long du XXe siècle – loin d’avoir aboli le régime d’exclusivité – a permis l’expression de nouvelles valeurs et pratiques susceptibles d’être valorisées socialement.

Comment s’articule cette relation entre tourisme et gastronomie ?

Le rôle des guides touristiques

Se nourrir constituant une nécessité du voyage, les informations alimentaires sont rapidement apparues dans les guides pour voyageurs. Ces renseignements avaient aussi pour vocation d’attirer l’attention sur ce qui mérite d’être vu, connu et goûté au sein d’un territoire donné. Ainsi, la satisfaction du plaisir du goût pour les personnes itinérantes devance largement l’apparition assez tardive du terme « gastronomie ».

Almanach des Gourmands, 1804

Almanach des Gourmands, 1804

Nous sommes encore loin de la patrimonialisation de la gastronomie, phénomène qui date de la fin du XXe siècle. Toutefois le train est en marche, Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière en étant l’instigateur.

Ce fondateur de la critique gastronomique est le premier à attribuer au champ de la gastronomie la notion de « patrimoine » par l’intermédiaire de son Almanach des gourmands, la première édition datant de 1803. Ce guide gourmand exige la qualité, évalue les établissements, signale les lieux dans lesquels se sustenter et établit ces critères suivant l’ambition première de satisfaire le plaisir du goût. Jusqu’alors ces informations apparaissaient dans des catégories se vouant aux pratiques agricoles d’un territoire, à sa production industrielle ou commerciale. La nouveauté du propos de Grimod de la Reynière est de considérer le domaine alimentaire comme un savoir-faire, en lien avec les qualités d’un terroir et la mémoire. Informer, décrire mais aussi prescrire des lieux alimentaires dignes d’être visités devient progressivement l’objectif des guides touristiques.[3]

Ainsi, l’art de bien manger ne concerne pas que les cuisiniers et les gourmands. Les villes gastronomiques se construisent surtout par l’intermédiaire des commentateurs, leur nombre ne cessant de croître tout au long du XXe siècle. Si les guides jouent toujours ce rôle de prescripteur, les blogs culinaires, magazines spécialisés et sites internet ne manquent pas de faire la promotion des restaurants et autres établissements alimentaires du moment. Tous ces médias culinaires jouent le rôle de promoteurs de l’alimentation comme mode et donc aussi comme distinction.

Le point commun entre tous ces acteurs est qu’ils sont soumis à une mobilité croissante. À la recherche de toujours plus d’exclusivités, critiques gastronomiques et chefs parcourent la planète en vue de rapporter de nouvelles techniques, pratiques et ingrédients. Des personnalités télévisuelles comme Antonio Carluccio, Keith Floyd, Alain Ducasse, Julie Andrieu, ou encore Jamie Oliver ont construit leur notoriété sur base des connaissances glanées au cours de leurs voyages à l’étranger.

Unsplash_Jay Wennington_Libre de droit

Capital culturel et distinction sociale

Alors que les lignes de démarcation entre les différentes classes sociales se sont considérablement amenuisées au fil du temps, nos modes de vie constituent pourtant un net marqueur de différenciation. La pratique du tourisme de type gastronomique peut être envisagée dans cette logique. Si l’expérience gastronomique n’est plus aujourd’hui cantonnée aux grands restaurants étoilés, il apparait au contraire que la consommation de repas simples, économiques et locaux soit particulièrement valorisée. L’objectif du touriste étant alors de jouir d’une cuisine que ses semblables ne pourraient goûter chez eux.

Contrairement au capital économique, le capital culturel ne s’achète pas mais témoigne de la capacité à accumuler des connaissances et pouvoir apprécier un certain type de nourritures, de boissons, de vêtements, de vacances, etc. En d’autres termes, il s’agit de la capacité à identifier la valeur culturelle de certaines formes de consommation. Le tourisme peut donc aussi constituer une forme de stratégie pour se forger une réputation; s’éloigner du tourisme de masse et du « sea, sex and sun » en privilégiant un tourisme au goût unique, de qualité et alternatif, fruit d’une initiative individuelle, plutôt que d’un tour-opérateur proposant des voyages organisés.

La variable culturelle est donc capitale dans cette analyse du rôle social de cette nouvelle forme de tourisme. En effet, pour pouvoir choisir les bons restaurants, les bonnes destinations et goûter aux bons produits, il faut avoir eu l’occasion de se renseigner dans les bonnes sources d’informations au préalable. Se distinguer de la masse en allant dénicher le restaurant local « typique » demande une certaine connaissance du sujet.[4]

Dès lors, la quête du rural, du local et de l’authentique constitue un des principaux arguments attractifs du tourisme culinaire. Des produits et cuisines traditionnelles parfois oubliées sont élevées au rang de nourritures gastronomiques à découvrir en vacances. Nous sommes dans un contexte de différenciation des terroirs ; des cuisines régionales sont remises au goût du jour pour satisfaire la demande du touriste. Ces processus de patrimonialisation participent à la valorisation touristique d’un lieu. Le goût pour l’authentique et le fait-maison est ainsi mis en opposition à la consommation de produits industriels.

Conclusion

En cherchant du confort et du familier à l’étranger, les touristes participent à la standardisation et à l’homogénéisation de la nourriture disponible dans des espaces hétérogènes à travers le monde. Le résultat de ce processus réside dans son pendant inverse, à savoir la résurrection, la sauvegarde, la réinterprétation voire l’invention de traditions.[5] Local et global forment donc une opposition dialectique créant de nouvelles pratiques, habitudes et modes de vie.[6] Parmi elles, nous trouvons la volonté de pratiquer un tourisme plus respectueux de l’environnement, des populations locales, de leurs cultures et traditions.

Toutefois, cette pratique touristique ne traverse pas toutes les classes sociales. Dans sa capacité à mettre en évidence des valeurs au capital culturel fort, il s’agit d’un moyen parmi d’autres de se distinguer socialement.[7]

« Dis-moi comment tu voyages et je te dirai qui tu es»

Alors que le tourisme nous fait vivre des expériences qui nous manquent communément, il constitue donc aussi une extension de notre vie quotidienne.

Notes de bas de page

[1] LONG (L. M.) (dir.), Culinary tourism, University press of Kentucky, Lexington, 2003.

[2] BOURDIEU (P.), Distinction. A social critique of the judgement of taste, Routledge, London, 1984.

[3] Sur la patrimonialisation alimentaire, voire BIENASSIS (L.), « Les chemins du patrimoine », dans A. Campanini, P. Scholliers, J.-P. Williot (dir.), Manger en Europe. Patrimoines, échanges, identités, Bruxelles, Peter Lang, 2011, pp. 45-91.

[4] À ce sujet, voir JOHNSTON (J.), BAUMANN (S.), “Democracy versus Distinction: A Study of Omnivorousness in Gourmet Food Writing.” American Journal of Sociology 113, no. 1 (July 2007): 165–204.

[5] HOBSBAWM (E.), RANGER (T.), The invention of tradition, Cambridge, 1983.

[6] FUMEY (G.), Manger Local, Manger Global. L’alimentation Géographique, Paris, CNRS Edition, 2010.

[7] JOHNSTON (J.), BAUMANN (S.), op cit.

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