Patrimoine – Tenzo Le Gastrocéphale http://tenzo.fr Sciences de l'alimentation mar, 30 Mai 2017 11:07:34 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.7 Wymondham railway station http://tenzo.fr/articles/wymondham-railway-station/ Sun, 12 Jun 2016 08:01:52 +0000 http://tenzo.fr/?p=2103
Un morceau du patrimoine ferroviaire anglais à nouveau en activité.
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Wymondham railway station

12 JUIN 2016 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

 

Pour ce dernier article avant l’été, continuons dans notre tour du monde gastronomique et historique en train. Cette semaine nous vous invitons au Royaume-Uni sur les traces d’une ancienne gare restaurée, Wymondham railway station.

 

Durant la Révolution Industrielle, le Royaume-Uni a développé son circuit ferroviaire considérablement, permettant aux centres économiques majeurs d’être connectés entre eux, tout en sortant de l’isolement villages et villes à population moyenne. Cette expansion sur le territoire permit la circulation des personnes, des marchandises, ce qui contribua à relancer le tourisme et le commerce, tout en créant de l’emploi. Les années prospères virent une accélération du niveau de vie à tous les niveaux sociaux et le voyage faisait désormais partie du quotidien.

 

Par conséquent les gares ferroviaires se devaient de proposer à leurs voyageurs des services tels qu’un lieu d’attente, l’hébergement avec la construction d’hôtels attenant à la gare dans le cas des grandes villes, par exemple Edimbourg et le North British Hotel (désormais Balmoral Hotel)1 construit en 1902, des divertissements avec des kiosques à journaux et le restaurant/tea-room, parfois simple buffet ou vente à emporter.

 

Restaurant du North British Hotel, 1930, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HO_83, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Restaurant du North British Hotel, 1930, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HO_83, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Ces lieux de sustentation étaient fréquents dans les grandes gares. Ainsi Waverley station à Edimbourg proposait au menu de son buffet un service rapide à emporter comprenant des repas légers et sandwichs, soupes et gâteaux accompagnés d’une boisson; on pouvait également avoir un repas complet avec un service à la table dans le restaurant de la gare, et un service de haute gamme dans le restaurant de l’hôtel destiné à une clientèle aisée.

 

À échelle inférieure, les gares de villages offraient, lorsqu’elles le pouvaient, un salon de thé attenant à la salle d’attente, voire un restaurant, bien loin des fastes de grandes villes. La gare de Wymondham2 dans le Norfolk illustre parfaitement les effets des développements technologiques et industriels sur la population britannique. À l’instar de ses villes voisines, Wymondham a connu son heure de gloire à l’arrivée du chemin de fer. La gare employait près de cinquante personnes officiant dans divers départements tels que guichetier, agent de signalement, serveur, conducteur de train. De part sa localisation sur le circuit ferroviaire, la ville était devenue un incontournable pour les entreprises qui voyaient là un centre d’exportation de leurs produits à échelle nationale, et donc une raison de s’y implanter. Wymondham participa également à aider durant la Seconde Guerre Mondiale de part sa localisation.

 

Comptoir du buffet de Waverley, 1947, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HR_105, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Comptoir du buffet de Waverley, 1947, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HR_105, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Cependant dès 1945 le développement et la démocratisation de l’automobile annoncèrent la fin de la prospérité du chemin de fer et ses gares, fléau qui toucha le pays durant vingt longues années. En 1969, seules les cargaisons de fret voyageaient sur la ligne Wymondham-Forncett, puis elle fut définitivement fermée en 1989. La ligne reliant la Wymondham à Londres est restée active. Les conséquences pour la gare de Wymondham furent telles qu’en 1967, tous les employés hormis l’agent de signalement, furent licenciés, la gare n’étant plus qu’une gare d’arrêt. La gare fut laissée à l’abandon, n’ayant plus de personnel.

 

À la fin des années 1980, David Turner, entrepreneur local, décida de racheter le bâtiment à la compagnie British Rail afin de le restaurer. En 1989, la gare ouvrit à nouveau, composée d’un salon de thé et restaurant, d’un magasin de pianos, le tout décoré avec des objets de gare de 1845 collectionnés par le propriétaire.

 

Restaurant Brief Encounter, Wymondham, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

Restaurant Brief Encounter, Wymondham, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

L’endroit propose aux voyageurs et autres personnes de passage dans son établissement un restaurant-buffet composé de café et petit-déjeuner pour le voyageur matinal, de déjeuner cuisiné sur place à base de produits locaux, et d’un thé gourmand l’après-midi.
Turner choisit le thème du film Brève Rencontre de Noël Coward (1945), ironique pour une gare dite “de passage” mais souhaitant certainement voir les rencontres entre passagers durer plus longuement.

 

Un pari réussi puisque depuis son ouverture, Brief Encounter (devenu Station Bistro) fût récompensé au niveau national pour sa table et son espace commercial. La gare fût également nominée pour le prix de meilleur buffet de gare. Au-delà de prix nationaux, Wymondham station retrouva ses lettres de noblesse grâce aux nombreuses visites de personnalités britanniques et internationales, suscitant un intérêt général pour la ville et son “attraction”.

 

Faites-y un saut cet été, replongez-vous dans l’Histoire le temps d’un passage gourmand.

1. http://www.networkrail.co.uk/edinburgh-waverley-station/history/

2. Wymondham: bourgade historique dans le comté du Norfolk, Royaume-Uni.

Bibliographie

 

∴Biddle, Gordon, The railway heritage of Britain: 150 years of railway architecture and engineering, Studio editions, 1990.

 

∴Wills, Dixie, Ten of the best railway cafes, the Guardian, 12 Mai 2009, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

 

∴Wymondham Station History, extrait du documentaire the Story of Wymondham Historic Railway Station, Wymondham Heritage Society, 1992.

 

∴Wymondham’s Brief Encounter Restaurant, Tales from the Country, ITV, diffusé le 12 Avril 2008.

 

∴Correspondance avec David Turner, Août 2013.
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Le fromage de Herve: entre tradition et innovation http://tenzo.fr/articles/le-fromage-de-herve-entre-tradition-et-innovation/ Sun, 24 Apr 2016 09:04:46 +0000 http://tenzo.fr/?p=1932
Synonyme de campagne, de tradition et d’artisanat, le fromage de Herve véhicule l’image d’un ailleurs temporel et spatial dans l’esprit de nombreux citadins. Après avoir retracé le parcours du Herve dans l’histoire, nous mettrons en évidence la manière dont les acteurs ont participé à sa valorisation et pointerons du doigt certaines incohérences dont sa « mise en patrimoine » témoigne.
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Le fromage de Herve: entre tradition et innovation

20 MARS 2016 | PAR GAELLE VAN INGELGEM

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Synonyme de campagne, de tradition et d’artisanat, le fromage de Herve véhicule l’image d’un ailleurs temporel et spatial dans l’esprit de nombreux citadins. En Belgique, son odeur caractéristique a hanté les voyages scolaires de nombreux enfants, confrontés dès le plus jeune âge à son goût intense aux accents ardennais.

 

Aujourd’hui, ce fromage bénéficie d’un certain engouement. L’affaire Munix y a lourdement contribué, en tournant les projecteurs médiatiques vers l’un des derniers producteurs de fromage de Herve au lait cru, à qui l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) avait imposé de façonner sa production pour en faire disparaître toute trace de listeria, une bactérie jugée dangereuse pour les enfants et les femmes enceintes. Découragé par cette politique de la tolérance zéro qui s’avère inadaptée au traitement d’un fromage au lait cru comme le Herve, ce producteur de 70 ans a plutôt choisi de prendre sa retraite.

 

Des voix se sont ensuite élevées contre l’Agence et ses règles jugées trop rigides et uniformes, tributaires d’une conception aseptisée, mercantile et industrielle de la production alimentaire. La volonté généralisée d’un « retour au terroir », à des aliments organiques et des produits issus d’un savoir-faire ancestral s’est ainsi ardemment manifestée dans le cas de la promotion d’un fromage voué, comme tant d’autres, à disparaître.

 

Après avoir retracé le parcours du Herve dans l’histoire, nous mettrons en évidence la manière dont les acteurs ont participé à sa valorisation et pointerons du doigt certaines incohérences dont sa « mise en patrimoine » témoigne.

 

Le Pays de Herve

 

Seul fromage pourvu de l’Appellation d’Origine Protégée (A.O.P.) en Belgique, le fromage de Herve appartient à un territoire précis, l’Entre-Vesdre-et-Meuse, plateau situé en Province de Liège dans la Région Wallonne du pays. La particularité de cet emplacement tient à sa centralité vis-à-vis de trois villes : Aix-la-Chapelle (Allemagne), Maastricht (Hollande) et Liège (Belgique). Ces trois pôles urbains ont été essentiels dans le développement économique et social du Pays de Herve.

Partie intégrante du duché de Limbourg et du comté de Dalhem, tous deux indépendants jusqu’à leur annexion en 1288 par le Duché de Brabant, le Pays de Herve a longtemps joui d’une large liberté d’action économique et commerciale étant donné son éloignement de Bruxelles, capitale de Brabant. Les privilèges fiscaux et douaniers de ces territoires ont ainsi permis la valorisation de leur production artisanale, agricole et alimentaire.[1]

 

Les marchés ont joué un rôle clé dans cette réussite. Lieux d’échange et de mise en concurrence, les places de marché participent à la construction de spécialités alimentaires « typiques » ; lieu de confrontation avec l’altérité, les discours s’y façonnent, s’y créent. Se délimite alors un contour intelligible à des produits qui seraient autrement restés anonymes.

Carte du Duché de Limbourg de 1240 à 1795

Carte du Duché de Limbourg de 1240 à 1795

Dans le cas du Herve, le marché de Limbourg a été l’épicentre de la commercialisation de son ancêtre, le « Limburger », populaire jusqu’aux États-Unis au milieu du 19e siècle. Le marché d’Aubel, créé au début du 17e siècle, a lui aussi joué un rôle prépondérant dans la dynamisation du Pays de Herve. Dans ce marché situé en Région flamande se côtoyaient des paysans du Sud, venant y écouler leur lait et leur beurre ; des paysans du Nord, y vendant leurs grains ; mais aussi des métiers artisanaux, prémices des industries laitières et fruitières du XIXe siècle.[2]

 

Tout au long du bas Moyen-âge, la culture céréalière était prépondérante dans cette région, suite à l’établissement de l’abbaye cistercienne du Val-Dieu en 1216, qui dédia ses terrains à une activité agricole et brassicole. Cependant, dès le 14e siècle, les paysans choisirent de réduire quelques-uns de leurs labours afin de pouvoir nourrir leurs troupeaux, mais aussi pour éviter la dîme valable sur les terres agricoles. Cette transformation en terres de pâtures a également été motivée par des facteurs naturels : les sols argileux et inclinés de l’Entre-Vesdre-et-Meuse n’étaient pas très adaptés à la culture des céréales, tandis que leur riche caractère hydraulique favorisait la poussée d’une herbe grasse.[3]

 

Le fromage de Herve : tradition ou innovation ?

 

Le Herve, fromage populaire de la famille des croûtes lavées, était au départ consommé localement, afin de conserver les surplus de lait à la basse saison. D’autres fromages étaient produits dans la région, comme le makèye, le stofé ou encore le bizeú. Toutefois, seul le fromage de Herve eut une vocation commerciale, exporté notamment dans les foires allemandes dès le 17e siècle.[4] Malgré tout, sa consommation demeura majoritairement domestique, jouant un rôle non négligeable dans l’économie locale et ce jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

 

Ce fromage ne peut être fabriqué que dans la vallée d’Entre-Vesdre-et-Meuse, dont les sous-sols calcaires contiennent une bactérie, la Brevibacterium linens, nécessaire à sa production. [5] Fromage à pâte molle et croûte lavée ou morgée, le Herve se place dans la même sous-famille que le Munster ou le Maroille.[6]

 

Au départ, ce fromage de fabrication locale se caractérisait par une grande diversité de formes et de goûts en fonction de sa ferme productrice. À partir des années 60, cette hétérogénéité du produit s’est mise à poser problème, le consommateur étant désormais à la recherche d’aliments standardisés, sûrs et contrôlés. [7] Ce changement de paradigme dans le rapport à l’alimentaire a engendré la désaffection du public pour des fromages tels que le Herve, poussant les industries agroalimentaires à s’emparer du secteur.[8]

 

La technique de fabrication utilisée par « Herve-Société » rappelle celle à l’œuvre pour tous les fromages industriels, à savoir la pasteurisation ou la thermisation du lait. Ces traitements du lait par la chaleur nécessitent la réintroduction dans le lait de bactéries de laboratoires, afin de compenser la destruction des micro-organismes. Résultat ? Des fromages uniformisés, standardisés et surtout dénaturés.

 

Au pays de Herve comme ailleurs, des voix s’élèvent contre cette uniformisation des goûts. Des fermiers résistent et continuent tant bien que mal à produire un fromage au lait cru artisanal selon des techniques héritées du passé. Périco Légasse, journaliste gastronome français, est le véritable fer de lance de cette bataille en France. Son documentaire sur le sujet a fait grand bruit, notamment par sa mise en implication directe d’entreprises agroalimentaires comme « Nestlé » et « Lactalis » auxquelles personne n’avait encore osé publiquement s’attaquer. [9]

 

La construction d’une image

 

Au pays de Herve, la crainte de voir disparaître la production traditionnelle engendra la création de confréries gastronomiques – Confrérie de Remoudou en 1962 et Confrérie du fromage de Herve en 1967 – visant à relancer la notoriété et la vente par le biais de stratégies commerciales. L’attachement affectif aux spécialités alimentaires locales des membres de ces organisations est vivement revendiqué et s’accompagne d’une mise en exergue d’un certain bagage historique associé à ces produits. [10] Le fromage, considéré comme marqueur culturel et identitaire fort, est ainsi élevé au rang d’objet patrimonial.

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<http://www.paysdeherve.be/fr/espace-des-saveurs-et-decouvertes>

La Maison du tourisme de Herve propose sur son site web de décrire le travail effectué par la seigneurie de Remoudou comme suit :

 

« C’est en s’appuyant sur des réalités historiques, en y associant l’indispensable facette folklorique, que ce vénérable groupement s’efforce de “parler” des fromages de Herve, d’en faire découvrir les richesses gastronomiques, d’interpeller les professionnels des métiers de bouche, de maintenir à l’ancestral et incomparable Remoudou, sa vocation médiévale d’Ambassadeur itinérant dans notre pays et dans toutes les régions d’Europe ».[11]

En fonctionnant autour de rituels d’intronisation, en élaborant des discours affectifs communs, en considérant le Herve comme l’incarnation matérielle d’une mémoire cognitive, les confrères participent pleinement à sa patrimonialisation.

 

L’obtention de l’A.O.P. en 1996 fut précédée par un travail de longue haleine visant à l’harmonisation de la production, à la lutte contre la contrefaçon, à la monopolisation de sa commercialisation par les producteurs, à la relance de sa consommation, et finalement à la reconnaissance de son poids historico-culturel.

 

Si l’on se tourne du côté du cahier des charges de l’A.O.P., force est de constater certaines incohérences. D’abord du côté de sa zone de production. En effet, celle-ci semble avoir été délimitée sur des principes strictement géographiques. Du coup, la ville de Limbourg qui, nous l’avons signalé, joua historiquement un rôle non négligeable dans la commercialisation et la valorisation du fromage, est exclue de l’espace délimité par l’A.O.P. qui comprend les territoires compris entre les cours de la Meuse et de son sous-affluent, la Vesdre.[12] Une autre étrangeté réside dans les discours utilisés autour du procédé de fabrication. Alors que le fromage doit être élaboré selon un « savoir-faire reconnu », l’appellation tolère pourtant que celui-ci soit confectionné à partir de lait pasteurisé.

 

Ce dernier point est important. Il confère au fromage de Herve toute sa valeur symbolique, imaginaire, faisant de celui-ci une ressource essentielle dans le cadre de projets touristiques. [13] Les acteurs locaux l’ont bien compris, la création de l’« Espace des Saveurs » dans les années 1990 illustrant à merveille ce phénomène. Cette structure muséale met en scène les spécialités locales en expliquant de manière détaillée leurs procédés de fabrication. Si jusque dans les années 80 les citadins venaient en pays de Herve pour y visiter les fermes et lieux de production, ils doivent aujourd’hui se rendre dans un musée pour approcher ce fromage. Le Herve est ainsi passé de ressource alimentaire à emblème identitaire. [14] De plus, notons que le processus de fabrication exposé dans le musée n’est en fait représentatif que d’une infime part de la production totale du fromage de Herve, puisque seule la méthode artisanale de  y est présentée.

 

Conclusion

 

Le fromage de Herve est le fruit de son terroir, il doit son existence à un savoir-faire passé de génération en génération et recèle une dimension affective et identitaire forte. Toutefois, il est devenu une spécialité gastronomique, ce à quoi il n’était évidemment pas destiné. Objet patrimonialisé tant pour des raisons commerciales que culturelles, le fromage de Herve est essentiellement présenté sous sa forme ancestrale, traditionnelle et plus ou moins fantasmée, alors que l’essentiel de sa production s’effectue aujourd’hui dans la plus grande modernité.

 

Si les « formulateurs d’aliments » s’alignent dans les rayons de laboratoire, les labels visant à différencier les qualités et tracer les produits, quant à eux, se multiplient. Pourtant, quoi de plus traçable qu’un produit qui a pour source principale le contenu chimique d’un flacon ? Quoi de plus standardisé que ce que nous proposent les supermarchés ? [15] Alors que le fromage de Herve A.O.P. peut être fabriqué avec du lait pasteurisé, selon des techniques industrielles et dans des zones de production ne correspondant pas à la réalité historique, on est en droit de se demander à quoi servent ces appellations, si ce n’est à plonger le consommateur dans un certain flou duquel elles étaient pourtant censées le protéger.

Bibliographie

∴ EFFERTZ (F.), GABRIEL (J.-P.), Le Herve, bien plus qu’un fromage, Bruxelles, Jean-Pierre Gabriel, 2012.
∴ DE MYTTENAERE B., « Tourisme rural et valorisation des ressources alimentaires locales : Le cas de l’AOP fromage de Herve », BSGLg, 2011, n°57, pp. 37-51. [En ligne] <http://www.bsglg.be/uploads/BSGLg-2011-57-04_DEMYTTENAERE.pdf> (Consulté le 8 mai 2013).
∴ MAYAR M.P., « Réalité et virtualité de l’approche agroalimentaire, une approche terminologique », Quaderni, 2004, n°56, pp. 85-99. [En ligne] <http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/quad_0987-1381_2004_num_56_1_1652> (Consulté le 10 mai 2013).
∴ SANTONI (J.), Ces fromages qu’on assassine, France, 2007, 120 min., DVD.

 

Section 1

[1] F. EFFERTZ, J.-P. GABRIEL, Le Herve, bien plus qu’un fromage, Bruxelles, Jean-Pierre Gabriel, 2012, p. 18.

[2] B. DE MYTTENAERE, « Tourisme rural et valorisation des ressources alimentaires locales : Le cas de l’AOP fromage de Herve », BSGLg, 2011, n° 57, pp. 37-51 (p. 40). [En ligne] <http://www.bsglg.be/uploads/BSGLg-2011-57-04_DEMYTTENAERE.pdf> (Consulté le 8 mai 2013).

[3] F. EFFERTZ, op cit., pp. 27-28.

[4] Ibidem, p. 30.

[5] B. DE MYTTENAERE, op cit., p. 40

[6] EFFERTZ, op cit., p. 45.

[7] B. DE MYTTENAERE, op cit., p. 42.

[8] B. DE MYTTENAERE, op cit., p. 40.

[9] SANTONI, Ces fromages qu’on assassine, France, 2007, 120 min., DVD.

[10] B. DE MYTTENAERE, op cit., p. 43.

[11] Maison du Tourisme du Pays de Herve, 2010. [En ligne] <http://www.paysdeherve.be/terroir-et-gastronomie/confrerie-gastronomique/seigneurie-du-remoudou> (Consulté le 5 mai 2013).

[12] Ibidem., p. 20.

[13] B. DE MYTTENAERE, op cit., p. 43.

[14] B. DE MYTTENAERE, op cit., p. 44.

[15] M.P. MAYAR, op cit., pp. 96-97.

 

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Innovation et patrimoine: Pourquoi accorde-t-on plus de valeurs à certains produits? http://tenzo.fr/articles/les-recettes-de-la-patrimonialisation-pourquoi-accorde-t-on-plus-de-valeurs-a-certains-produits/ http://tenzo.fr/articles/les-recettes-de-la-patrimonialisation-pourquoi-accorde-t-on-plus-de-valeurs-a-certains-produits/#comments Sun, 03 Apr 2016 09:00:07 +0000 http://tenzo.fr/?p=1805
Les aliments ne deviennent pas « patrimoniaux » mécaniquement (parce qu’ils seraient consommés et valorisés depuis longtemps), mais bien parce certains groupes d’individus investissent ces aliments d’identités historiques, géographiques, symboliques, etc., aptes à servir leurs intérêts contemporains, et ce, consciemment ou non.
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Innovation et patrimoine: Pourquoi accorde-t-on plus de valeurs à certains produits?

3 AVRIL 2016 | PAR DAVID LAFLAMME

Carte des productions gastronomiques de la France avec ses chemins de fer, vers 1850. BnF.

Carte des productions gastronomiques de la France avec ses chemins de fer, vers 1850. BnF.

De 2007 à 2009, la région Midi-Pyrénées a financé un programme de recherche ayant pour thème l’innovation et le patrimoine alimentaire. De prime abord, cet angle de recherche peut sembler frôler l’oxymore, mais il n’en est rien. Comme l’explique François Ascher dans son Mangeur hypermoderne, «…les individus modernes et certains groupes sociaux se saisissent de références empruntées à la tradition, pour des raisons diverses ; ce faisant, ils ne renouent évidemment pas avec une tradition, puisque de façon tout à fait moderne, ils la sélectionnent, la choisissent. Ils versent dans ce que Giddens appelle le fondamentalisme, c’est-à-dire une pratique traditionnelle sortie de son contexte historique et géographique, et instrumentalisée dans le cadre d’un projet contemporain.» [1]

Jacinthe Bessière, la  directrice du programme de recherche l’innovation dans les processus de valorisation des patrimoines alimentaires et non alimentaires en espace rural, résume le postulat de ce programme ainsi : «…le patrimoine alimentaire est davantage un construit social qu’un objet transmis, constant et immuable. L’association patrimoine- mémoire-tradition s’accompagne d’une dialectique qui oppose fixité et mouvement, donnée établie et donnée en construction. Dans cette perspective, les dynamiques de production du patrimoine consistent à mettre à jour, à renouveler, à réinterpréter des traits puisés dans l’histoire d’une communauté à travers ses savoirs et savoir-faire ». [2]

Selon ces chercheurs, les aliments ne deviennent donc pas « patrimoniaux » mécaniquement (parce qu’ils seraient consommés et valorisés depuis longtemps), mais le deviennent parce que certains groupes d’individus les investissent d’identités historique, géographique, symbolique, etc., aptes à servir leurs intérêts contemporains, et ce, consciemment ou non. Il semble bien que ce qui sépare une tradition alimentaire « authentique » d’une autre qui paraitrait moins légitime ne soit que la distance temporelle de ce processus de patrimonialisation. Plus un aliment a été patrimonialisé il y a longtemps, plus cette patrimonialisation parait indiscutable. Pour s’en convaincre, commençons par examiner un cas assez ancien, celui des crêperies bretonnes.

Les crêperies, les touristes parisiens et la Bretagne.

Galette saucisse

Tout le monde sera d’accord pour dire que le lien entre la crêpe et la Bretagne est particulièrement fort. À titre d’exemple, une association identitaire nommée « Sauvegarde de la galette saucisse bretonne » proche du Stade rennais revendique 3000 adhérents. Elle « possède son hymne viril à la gloire de la galette, érigée, avec le lait Ribot, en bannière contre les clubs normands ou ligériens ». Si la consommation de crêpes et de galettes est ancienne en Bretagne, son association à l’identité bretonne est, quant à elle, plus récente. Les recherches de l’historien Patrick Harismendy en témoignent. L’historien explique par exemple que cet aliment de tous les jours était, entre la fin du XVIIIe et l’avant-Seconde Guerre mondiale, un plat méprisé avant d’être « … refaçonné à la fois, par un processus de réinculcation originaire et le regard des touristes ». [3]

Pour Harismendy, la valorisation de la galette ne nait pas en Bretagne, mais bien au sein de la diaspora bretonne exilée à Paris. « Face à la modernité, à l’urbanisation et à la nouvelle monotonie gastronomique, la crêpe et la galette renaissent avec vigueur dans les années 1920 […] L’essentiel se joue à Paris […] dans les estaminets des « originaires », où se retrouvent les « pays » autour de cidre, crêpes, galettes et pâté […] Ce sont […] des dizaines d’adresses dans les 13e, 14e et 19e arrondissements qui naissent alors. […] Combinant des éléments du réel et des projections iconographiques venues des gravures et des photos, la crêperie revendique bientôt les ressorts de l’identité  ». [4]

Bilig, rouable, spannel, motte de beurre. [Coll. Particulière] tiré du texte de P.Harismendy

La crêpe bretonne : préparation d’un dessert réputé. – « Bilig, rouable, spannel, motte de beurre. » [Coll. Particulière] tiré du texte de P. Harismendy

Cet engouement parisien, puis breton, s’explique par le contexte des années 1920-1930. La diaspora bretonne à Paris atteint presque son apogée. Inversement, en Bretagne, les Bretons travaillant à Paris et les « originaires » forment une proportion de plus en plus importante parmi les touristes. La période est également marquée par l’inflation et les bourses atrophiées des touristes les forcent à consommer des produits abordables. Les crêperies font ainsi leur apparition en Bretagne en réponse au tourisme parisien. [5]

Il est intéressant de remarquer que la Normandie partage une consommation alimentaire très similaire à celle de la Bretagne (marquée notamment par la consommation de sarrasin) jusqu’au XIXe siècle. Ce n’est qu’avec l’arrivée du chemin de fer, qui permet l’exportation de produits frais vers Paris, que la région normande se tourne vers l’élevage et devient ainsi connue pour son beurre et sa crème. [6]

Ces exemples tendent à confirmer que la définition des terroirs est avant tout exogène. C’est ce qu’explique l’historien Pascal Ory, «… les particularismes régionaux sont accentués, voire créés de toutes pièces, par l’observateur extérieur, le citadin vis-à-vis du rural, le bourgeois de l’homme du peuple, le Parisien du provincial ». [7] Ainsi les identités des régions périphériques sont-elles avant tout définies par les représentations émanant du centre au risque, bien entendu, de modifier les réalités historiques de ces territoires. Ces échanges entre le centre et les périphéries rappellent les processus décrits par Édouard Saïd 1978 dans son L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident (1978).

Ainsi, l’inscription de la crêperie au patrimoine alimentaire de la Bretagne ne date pas de la nuit des temps. Il aura fallu l’intervention d’une communauté parisienne nostalgique pour que le modèle de la crêperie bretonne soit inventé et diffusé en Bretagne. Les membres de la diaspora bretonne de Paris ont donc investi la crêperie d’une forte valeur identitaire pour répondre à un besoin né d’un déracinement géographique. Or, la modernité mondialisée telle qu’elle se manifeste à partir des années 1980 crée elle aussi du déracinement.  Il n’est certainement pas anodin de constater que de nombreuses patrimonialisations alimentaires ont eu lieu durant les années 1990. Il serait légitime de penser que, comme l’explique le philosophe Charles Taylor en 1989 dans Les sources du moi : La formation de l’identité moderne, la modernité crée de forts besoins identitaires.

Talos, piments d’Espelette et autres patrimonialisations récentes.

Confection et vente de talos dans un marché au Pays Basque

Confection et vente de talos durant un marché au Pays Basque

L’exemple du Pays basque est particulièrement intéressant car il permet d’illustrer des phénomènes de patrimonialisation récents. Adélaïde Daraspe rapporte l’exemple du talo, une galette de maïs «… aujourd’hui présente dans les rassemblements identitaires ». Ces galettes qui apparurent au XVIIIe siècle avec la diffusion du maïs au Pays basque servaient à remplacer le pain quand celui-ci venait à manquer. « Dans les années 1970, des parents d’élèves d’écoles basques nommées ikastolas, soucieux de récolter des fonds pour revitaliser la langue basque, ont organisé à cette fin des ventes de talos. Cette initiative a transformé la perception de ces galettes en leur confé­rant une place de choix dans le paysage des aliments régionaux dits « tradi­tionnels ». Dès lors, quelques talotegi – restaurants de talos – sont apparus émaillant leur carte de garnitures variées. Parallèlement, la « tradition » de vendre des talos lors des fêtes de village s’est diffusée à tout le Pays basque du nord […] Pourtant, de nombreuses personnes âgées témoignent, dans les entretiens, de leur incompréhension face à cet engouement actuel pour les talos ». [8]

Le sociologue François Ascher insiste quant à lui sur l’importance du rôle qu’a joué l’obtention de l’AOC (appellation d’origine contrôlée) pour le piment d’Espelette;Itxassou_Piment  « Quelle belle histoire que celle du piment d’Espelette, pratiquement inconnu en dehors de sa région il y a quelques années ; il trône aujourd’hui sur toutes les bonnes tables, porte dans le monde les couleurs rouge et verte du Pays basque, associe une population tout entière autour d’un produit de son sol ; un piment mythe, pour lequel on a inventé de toutes pièces une confrérie, et dont la fête, tout récemment créée, attire déjà plus de trente mille personnes qui défilent dans les rues après une messe solennelle qui lui est dédiée. Un piment dont le prix a pratiquement triplé en dix ans, et dont l’AOC a été le point de départ et l’outil essentiel ». [9]

Fête de la prune de Brignolles - Photo Hélène Dos Santos

Fête de la prune de Brignolles – Photo Hélène Dos Santos

L’historien Jean-Yves Andrieux souligne ce qu’il nomme les « dérives » de la patrimonialisation à tout va, qui marque les dernières décennies. Il cite, par exemple, la prune de Brignolles, un « … exemple d’économie du tourisme gustatif […] qui repose sur du vent : on y promeut en tant que friandise populaire, dans un cadre revendiqué de « provençalité », un produit à l’origine élitiste, objet néanmoins d’un storytelling efficace puisqu’on le prétend, à tort (mais peu importe !), ramené en France par les croisés ». Jean-Yves Andrieux mentionne également le cas de la brasserie Pietra qui fabrique une bière ambrée à la farine de châtaigne. Dans cette terre du vin qu’est la Corse, les brasseurs «…ont bâti leur entreprise, fondée en 1991, sur ce « marketing de la provenance », basé sur la « typicité » des matières premières utilisées et sur l’association maîtrisée de leurs marques à l’onomastique insulaire ». [10]

Conclusion

Ces exemples récents démontrent qu’il est effectivement possible « d’innover » en matière de patrimoine alimentaire. Pour terminer ce processus de désenchantement, il parait judicieux de citer Jean-Yves Andrieux qui a répertorié les ingrédients nécessaires  pour réussir une bonne patrimonialisation alimentaire :

Pour commencer, il vous faudra un territoire marqué par des paysages remarquables et des références légendaires ou historiques célèbres : « … un réservoir initial où puiser les sensations et déclencher le ressort de l’exotisme, du pittoresque. Un certain nombre de conditions économiques précises doivent ensuite être réunies. Il faut un arrière-pays agricole, aux cultures typiques et abondantes ; un marché structurant, capable de soutenir le décollage d’activités ciblées ; au moins une ville commerçante de transit […] ; des moyens de transport rapides et désenclavés ». Il vous faudra aussi un certain nombre de personnes, de manière organisée ou individuellement, qui doivent encourager cette patrimonialisation et créer une synergie sans lesquels rien ne bouge. «…Résidents, visiteurs, producteurs, professionnels du tourisme, journalistes, associations, monde politique, etc. […] Enfin, se rassemblent, dans un dernier temps, les indicateurs qui confortent ou créent l’image d’une gastronomie : l’appui de l’État pour obtenir des AOC, les festivals ou routes qui transmettent un contenu au grand public et l’attirent dans un réseau de qualité, les labels dont le plus convoité est, de nos jours, celui du patrimoine mondial, garant d’un succès durable. Dans bien des cas, le rôle des diasporas est essentiel dans la construction de ces édifices identitaires et émotionnels que sont les patrimoines immatériels ». [11]

Enfin, Olivier Assouly nous rappelle que le carburant de la machine à patrimonialiser est paradoxalement la nostalgie d’un passé fantasmé construit en opposition symbolique avec la modernité :  « La référence à un passé, plus imaginaire que réel et instantanément pétrifié, traduit le refus d’une évolution historique pourtant essentielle à l’irruption du motif de la nostalgie. Admettre une histoire, c’est en appeler d’autres, dépourvues à leur tour de pureté originaire et exposées à la facticité des mutations à venir. Faire table rase du réel en se situant en marge du temps, c’est nourrir le rêve d’une perfection préalable à la chute et à la disgrâce industrielles ». [12]

Notes de bas de page

[1] François Ascher, Le mangeur hypermoderne, Odile Jacob, Paris, 2005. p.119

[2] Jacinthe Bessière (dir.), Innovation et patrimoine alimentaire en espace rural, Éditions Quae, Nancy, 2012. p.15

[3] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), L’assiette du touriste : le goût de l’authentique, P.U. de Rennes & P.U. François Rabelais, Rennes, 2013. p.140

[4] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), p.157

[5] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), p.160

[6] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), p.329

[7] Pascal Ory, Le Discours gastronomique français, Gallimard, Paris, 1998, p.78

[8] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), p.293

[9] François Ascher, Le mangeur hypermoderne, Odile Jacob, Paris, 2005. p.116

[10] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), p.331

[11] Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), p.334

[12] Olivier Assouly, Les nourritures nostalgiques : essai sur le mythe du terroir, Actes sud, 2004. p.125

Bibliographie

∴ Jacinthe Bessière (dir.), Innovation et patrimoine alimentaire en espace rural, Éditions Quae, Nancy, 2012.
∴ Olivier Assouly, Les nourritures nostalgiques : essai sur le mythe du terroir, Actes sud, 2004.
∴ François Ascher, Le mangeur hypermoderne, Odile Jacob, Paris, 2005.
∴ Jean-Yves Andrieux & Patrick Harismendy (dir.), L’assiette du touriste : le goût de l’authentique, P.U. de Rennes & P.U. François Rabelais, Rennes, 2013.
∴ Pascal Ory, Le Discours gastronomique français, Gallimard, Paris, 1998.
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Le repas gastronomique des Français à l’UNESCO : le grand malentendu http://tenzo.fr/articles/le-repas-gastronomique-des-francais-le-grand-malentendu/ Sun, 28 Feb 2016 01:45:16 +0000 http://tenzo.fr/?p=1684
Cet article se propose de revenir sur quelques-unes des mécompréhensions de l'inscription du Repas Gastronomique Des Français par des « gens les plus sérieux » et en profiter pour faire un rappel de ce en quoi elle consiste réellement pour l'UNESCO et pour les porteurs du projet.
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Le repas gastronomique des Français à l’UNESCO : le grand malentendu

28 FÉVIER 2016 | PAR DAVID LAFLAMME

"Un repas de noces à Yport" (détail), Albert Fourié, 1886. Collections du musée des beaux-arts de Rouen.

« Un repas de noces à Yport » (détail), Albert Fourié, 1886. Collections du musée des beaux-arts de Rouen.

« Réflexion faite, ces modifications, qui aboutirent à circonscrire l’élément au repas gastronomique des Français, furent une bonne chose. Cela donne une dimension plus tangible et concrète à ce monument immatériel. Cela évite de se demander si la blanquette de veau est inscrite au patrimoine mondial et de se poser la question de savoir si c’est la recette de tante Ursule ou celle de Bernard Loiseau qui fait foi. Question qui nous fut maintes fois posée lors de la préparation du dossier, et par les gens les plus sérieux… » [1]

Cette citation de Francis Chevrier, l’initiateur du projet de l’inscription du Repas Gastronomique des Français (RGDF) à la liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel  (PCI) de l’humanité de l’UNESCO résume à elle seule les tensions qui caractérisent la compréhension de cette inscription depuis les premiers instants du projet et ce, jusqu’à aujourd’hui.  Cet article se propose de revenir sur quelques-unes de ces mécompréhensions de l’inscription du RGDF par des « gens les plus sérieux » et en profiter pour faire un rappel de ce en quoi elle consiste réellement pour l’UNESCO et pour les porteurs du projet.

Le 16 novembre 2010, le repas gastronomique des Français a été inscrit sur la liste représentative du PCI de l’humanité, en référence à la Convention UNESCO de 2003. La sociologue et historienne Julia Csergo propose que les multiples mécompréhensions de cette inscription tiennent essentiellement au fait que les concepts rattachés au PCI contenu dans l’accord de 2003 n’étaient que très peu familiers aux professionnels de la culture et de la recherche académique. «…Le Patrimoine Culturel Immatériel n’était l’objet que de peu d’attentions en France où prédominait une conception historiquement construite et euro centrique qui avait privilégié une conception du patrimoine culturel essentiellement construite autour des objets matériels et des héritages régaliens ». [2]

La maladresse de Nicolas Sarkozy

Pour Francis Chevrier et Jean-Robert Pitte, les principaux responsables de l’inscription du RGDF, cette dernière devait essentiellement servir à deux choses. Elle devait premièrement permettre à la gastronomie d’être reconnue comme Culture au niveau national. Cette reconnaissance devait par la suite, devenir un moyen de contraindre le gouvernement français à mettre en place une politique culturelle se manifestant par divers programmes et projets dont les futures Cités de la gastronomie. [3]

C’est lors de l’inauguration de son premier Salon de l’agriculture en tant que président de la République, le 23 février 2008, que N. Sarkozy donne  le coup d’envoi de l’inscription du RGDF à titre de projet d’État.

« J’ai pris l’initiative que la France soit le premier pays à déposer, dès 2009, une candidature auprès de l’UNESCO pour permettre la reconnaissance de notre patrimoine gastronomique au patrimoine mondial. Nous avons la meilleure gastronomie du monde — enfin, de notre point de vue (…) enfin on veut bien se comparer avec les autres —, et bien nous voulons que cela soit reconnu au patrimoine mondial. » [4]

La manière avec laquelle N. Sarkozy a annoncé la candidature de la France a entrainé son lot de réactions négatives chez les observateurs étrangers et les représentants de l’UNESCO.

Le socioanthropologue Jean-Louis Tornatore résume la situation ainsi : « … sortant de son texte comme à son habitude, en une petite phrase proclamant l’excellence de la gastronomie française — et bien que reconnaissant que le point de vue ne pouvait être que subjectif et qu’en conséquence la France acceptait pour cela de mettre son « titre » en jeu, de concourir — il faisait mine de s’asseoir sur le critère de représentativité patiemment élaboré par les instances de l’UNESCO. » [5]

Les représentants de l’UNESCO et des autres pays ont essentiellement reproché au président de justifier l’inscription par une vision élitiste et arrogante de la supériorité supposée de la gastronomie française. À cela, il faut ajouter que N. Sarkozy ne se réfaire jamais à la notion de PCI. Cette absence de mention est perçue par beaucoup comme symptomatique de sa mauvaise compréhension de la convention de 2003 par le président français. [6]

Selon la sociologue Sidonie Naulin, en se basant sur ce discours, l’on comprend que N. Sarkozy voit essentiellement deux avantages à l’inscription du RGDF. Le premier est d’ordre symbolique. «En étant le premier pays à inscrire sa gastronomie au Patrimoine Culturel Immatériel de l’humanité, la France réaffirmerait son rôle de leader en matière culturelle et cela participerait à son rayonnement culturel ». Le deuxième est plutôt d’ordre économique. « En permettant une promotion internationale de la gastronomie française, l’inscription soutiendrait le développement d’un marché autour de cette gastronomie. Elle offrirait un nouvel espace d’activité pour des secteurs agricoles, agroalimentaires et touristiques français.» [7]

Quoi qu’il en soit, l’impulsion donnée par le président ce jour-là lançait la France «…sur le terrain de la patrimonialisation de la culture en s’appuyant sur sa conception du patrimoine — et sans guère la remettre en cause —, prioritairement fondée sur l’unicité et l’excellence — et non la typicité et la représentativité.» [8]

La mécompréhension de la Convention de 2003 pour la sauvegarde du PCI.

Si la France est accusée de vouloir faire reconnaître la supériorité de sa gastronomie via cette inscription, c’est aussi parce que durant les premières années de la mise en place du projet, les chefs étoilés sont nombreux à vouloir s’associer à cette inscription. Ainsi, en 2008, Jean-Robert Pitte annonce-t-il que des figures de l’excellence, voir, de l’élitisme culinaire français telles que Paul Bocuse, Michel Guérart, Alain Ducasse, Joël Robuchon et Guy Savoy soutiennent toutes l’inscription.

Guy Savoy s’était également fait remarquer à cette époque en répondant à une flèche de la Confédération nationale des cultivateurs italiens (Coldiretti). Cette dernière avait répondu au discours du 23 février par voie de presse en soulignant que l’Union européenne reconnait 166 spécialités italiennes contre seulement 156 spécialités françaises. Le chef avait rétorqué sur le même terrain (bien loin de l’esprit de la convention de 2003) : « Soyez objectif : nous avons une variété de spécialités infiniment supérieure, sans parler des vins. Quel vrai dessert proposez-vous, en dehors du tiramisu ? Et quel célèbre pâtissier avez-vous ? (…) Pour cette diversité et les talents de nos artisans, notre gastronomie doit être immortalisée. (…) Nous avons un savoir-faire, un génie culinaire unique ».  [9]

Article La tribuneLes médias ont également eu leur rôle à jouer quant à la transmission galvaudée du sens de cette inscription. Le site web de l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA) met à disposition une revue de presse dont voici quelques titres: « La France fait don de sa gastronomie à l’humanité » (La Tribune) ; « Le monde envie notre repas » (Aujourd’hui en France) ; « L’UNESCO toquée de gastronomie française » (20 minutes) ; « Cocorico, notre bonne bouffe est classée à l’UNESCO » (Ouest France) ; « La table française est déjà universelle » (La Nouvelle République) ; « UNESCO : Combat de toques » (L’Express) ; « Le devoir de patrimoine. La gastronomie française entre au patrimoine de l’UNESCO. Ce sacre va lui donner un nouvel élan » (Le Monde Magazine) ; « La table française entre au patrimoine mondial » (Paris Match).

Julia Csergo, considérée par beaucoup comme l’inventeur du concept de  Repas Gastronomique des Français, constate que cette compréhension approximative du sens de l’inscription existe également au sein des institutions publiques : «…que ce soit de la Mission, du ministère, etc., reviennent toujours sur la même chose : le patrimoine, les produits, les savoir-faire, les AOC, les labels, etc., jusqu’à aboutir à so good so french. Ce qui donne aussi le sentiment que finalement le politique en France a aussi instrumentalisé la convention de l’UNESCO » (entretien avec J.L Tornatore). [10]

À titre d’exemple, citons seulement les mots choisis par Matignon pour saluer l’inscription du RGDF : «… l’inscription « d’un de nos plus grands trésors nationaux, la gastronomie »(…) « le génie français » des « arts de la table », « la qualité de ses savoir-faire artisanaux et de son rayonnement culturel ». Et de poursuivre : « Ce classement au patrimoine mondial est une reconnaissance de nos artistes des métiers de bouche connus dans le monde entier ».  Ainsi le bureau du Premier ministre fait-il, lui aussi, la mauvaise association entre l’inscription du RGDF et la reconnaissance de la gastronomie française telle qu’elle est portée par les grands chefs à l’étranger.  [11]

Comprendre l’inscription du Repas Gastronomique des Français à la Liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

La convention de 2003 s’est inspirée de l’exemple japonais où le patrimoine culturel immatériel est reconnu depuis les années 1950. Elle vise deux objectifs. Le premier est de rééquilibrer les effets de la convention de 1972, qui a surtout profité aux pays du nord, en faveur des pays du Sud, pauvres en patrimoine matériel, mais riches de patrimoines immatériels. « Le second objectif est de protéger plus généralement des effets néfastes de la mondialisation et des évolutions de la vie sociale les richesses qui, en raison de leur forme immatérielle, ne sont actuellement pas protégées ». [12]

La convention de 2003 définit le PCI ainsi : « … les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes, et le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce PCI transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et de la créativité humaine (…) seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre les communautés, groupes et individus et d’un développement durable. » [13]

C’est en se basant sur cette description du PCI que l’équipe en charge de l’inscription a progressivement constitué l’objet ethnologique qu’est le RGDF.

Julia Csergo commente :

« La réflexion menée nous a permis d’extraire du champ de la gastronomie, un élément restreint qui en représentait la synthèse : le repas gastronomique, occasionnel et festif, comme lieu où s’exprime et se met en scène cette culture partagée. C’est ainsi que nous avons proposé de faire inscrire cette pratique sociale (des Français), recevable dans le cadre de la Convention UNESCO, et non un modèle alimentaire qui se voudrait d’excellence (à la française). » [14]

Nous laisserons ici le soin à Julia Csergo, l’une des maîtres architectes de cette inscription, de décrire ce que signifie l’inscription du RGDF à la liste représentative du  PCI de l’humanité de l’UNESCO.

«… le « Repas gastronomique des Français »  inscrit au PCI de l’humanité ne concerne nullement les productions concrètes servies au cours de ce repas (produits, plats), mais consacre une pratique familière : celle du repas festif par lequel on célèbre un événement particulier (anniversaires, mariages, réussites, etc.) et qui se marque, comme partout dans le monde, par des usages et des rituels qui se sont enracinés, au cours de l’histoire, dans toute la société jusqu’à devenir un élément d’une culture commune. En France, cette pratique renvoie à une culture gastronomique fondée sur l’attachement de tous à un art de vivre qui intègre le bien manger et le bien boire, la sensorialité et son expression, la convivialité, le partage du plaisir du goût. De la même façon, si ce repas peut parfois être pris au restaurant – ou préparé par un traiteur -, l’inscription UNESCO ne concerne pas les savoir-faire des métiers de bouche et des cuisiniers professionnels. Elle consacre des usages et des rites d’accueil, les façons dont, dans la culture française, nous  » considérons  » ceux qui, par leur présence, honorent un événement que nous fêtons, lui donnent une existence sociale. Les valeurs d’attention, de générosité et de partage sont au cœur de cette pratique. Préparer, pour l’occasion, un bon repas, à base de bonnes recettes et de bons produits, porter une attention particulière au goût et au plaisir qu’il procure, à l’harmonie des saveurs, à l’accord des mets et des vins, à la succession des services, à l’esthétique de la table ; le consommer selon des rituels toujours renouvelés – goûter les vins, découper et partager à table les grosses pièces (viandes, fromages, gâteaux), parler des goûts, de la qualité des recettes et des produits. » [15]

Conclusion – Les Cités de la gastronomie et l’esprit de la convention de 2003.

L’inscription du RGDF sur la liste représentative du PCI, a aussi été conditionnée à l’engagement de la France à mettre en oeuvre un programme de valorisation de ce patrimoine. C’est ce qui est appelé le «plan de gestion».  [16] Ce plan de gestion est soumis à un contrôle régulier de l’UNESCO, tout manquement aux engagements énoncés est  susceptible d’engendrer une « désinscription » de l’élément. [17]

.

Pour éviter ce type de désagrément, la section 3.b.4 du dossier de candidature du RGDF prévoit un « Organisme spécifique de veille et de suivi des mesures de sauvegarde ».  Il s’agit de la Mission Française du Patrimoine et des Cultures Alimentaires (MFPCA) qui est actuellement dirigée par Pierre Sanner. La MFPCA «…garantit la mise en œuvre des mesures appropriées aux termes et à l’esprit de la Convention de 2003. La mission alertera l’État sur les risques éventuels d’utilisation dévoyée de l’inscription sur la liste de l’UNESCO, tels que l’instrumentalisation ou la labellisation mercantile ». C’est également la MFPCA qui coordonne le réseau des Cités de la gastronomie (Tours, Dijon, Paris-Rungis, Lyon). Ce projet n’est pas mentionné nommément dans le dossier de candidature. Ce dernier prévoit cependant la création «…d’outils et d’équipements de sensibilisation et d’information au plus grand nombre… » [18]

hôtel dieuL’on comprend ainsi pourquoi le projet de Cité de la gastronomie de Lyon a pu s’attirer quelques critiques de la part de la MFPCA. La Cité de la gastronomie doit en effet s’implanter au sein de l’ancien Hôtel Dieu de Lyon. Il s’agit d’un chantier d’aménagement en centre-ville d’une superficie de 54 000 m2 dont 3 500 m2 seraient dédiés à la Cité de la Gastronomie en tant que telle et 800 m2 à un espace permanent d’exposition. [19]

« Les liens entre santé et nutrition sont au cœur du projet et de la programmation culturelle de la Cité de la Gastronomie. La proposition visant à créer un espace permanent d’exposition semble être imposée par la nécessité de conserver en ses lieux la collection du Musée des Hospices Civils de Lyon. Il faut souligner que la dimension santé/nutrition n’a pas fait l’objet d’un développement spécifique dans le dossier d’inscription du « repas gastronomique des Français » au patrimoine de l’humanité et ne figure pas parmi les priorités du cahier des charges en vue de la création de la Cité de la Gastronomie. » [20]

À ces préoccupations quant à la cohérence avec le sens de l’inscription du RGDF, s’ajoutent des considérations quant au mode de financement.

« Le modèle économique envisagé suppose un autofinancement complet de la structure. La principale ressource dépendra de la billetterie (avec de façon plus aléatoire la privatisation d’espaces, mécénat et produits des activités de formation et pédagogique). Les hypothèses de fréquentation (entre 125 et 250 000 visiteurs annuels) sont censées assurer un résultat net d’exploitation équilibré. » [21]

La chef de projet de la Cité de la gastronomie de Lyon Sophie Louet se veut, quant à elle, rassurante en affirmant que le projet est toujours en construction et que la MFPCA assiste la Métropole de Lyon dans la mise en place de ce projet.  [entretien avec l’auteur, 22/02/2016]

Ainsi la vigilance reste-t-elle de mise. Nous l’avons vu, la tentation d’utiliser du RGDF en ne respectant pas l’esprit de la convention de 2003 existe bel et bien. Y succomber pourrait tout bonnement se solder par une désinscription.

Bibliographie

∴ Chevrier F., Notre gastronomie est une culture, Paris, Ed. François Bourin, 2011.
∴ Tornatore J.-L., « Retour d’anthropologie :  « le repas gastronomique des Français. » Eléments d’ethnographie d’une distinction patrimoniale. »
,ethnographiques.org, 2012.
∴ Naulin S., « Le repas gastronomique des Français: genèse d’un nouvel objet culturel », Sciences de la société, 87, 2012, 8-25.
∴ Csergo J., « Le  » Repas gastronomique des Français  » à l’Unesco : éléments d’une inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité », www.lemangeur-ocha.com , 2011.
∴ Chevrier F., Pitte J.-R. Csergo J., Sanner P., « Discours de la conférence de presse du 19 novembre », www.iehca.eu, 2010.
∴ ATOUT FRANCE, Reconnaissance du repas gastronomique des Français par l’UNESCO. Paris, Ed. Atout France, 2012.

Notes de bas de page

[1] Chevrier F., Notre gastronomie est une culture, Paris, Ed. François Bourin, 2011, p.126

[2] Csergo J., « Le  » Repas gastronomique des Français  » à l’Unesco : éléments d’une inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité », www.lemangeur-ocha.com , 2011, p.7

[3] Naulin S., « Le repas gastronomique des Français: genèse d’un nouvel objet culturel », Sciences de la société, 87, 2012, 8-25, p.11

[4] Tornatore J.-L., « Retour d’anthropologie :  « le repas gastronomique des Français. » Eléments d’ethnographie d’une distinction patrimoniale. »,ethnographiques.org, 2012, p.10

[5] Ibidem.

[6] Naulin S., Op.Cit.p.12

[7] Idem. p.11

[8] Tornatore  J.-L., Op.Cit. p.10

[9] Idem. p.12

[10] Idem. p.126

[11] Csergo J., Op.Cit. p.17

[12] Naulin S., Op.Cit.p.9

[13] Csergo J., Op.Cit. p.9

[14] Idem. p.15

[15] Idem. p.17

[16] Chevrier F. Op.Cit. p.132

[17] Csergo J., Op.Cit. p.11

[18] Lien vers document

[19] Lien vers site web du projet

[20] Lien vers document

[21] Lien vers document

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La construction d’un patrimoine alimentaire: l’exemple tourangeau – par Nicolas Raduget http://tenzo.fr/articles/1636/ Fri, 12 Feb 2016 23:20:37 +0000 http://tenzo.fr/?p=1636
Comment, dans un département qui n’a pas d’identité alimentaire aussi marquée que d’autres en France, avec des plats emblématiques que la choucroute ou la bouillabaisse, s’est-on attaché depuis la fin du XIXe siècle à reconnaître et diffuser les productions locales ? Quels sont les acteurs impliqués et les stratégies employées qui ont abouti à la promotion actuelle ? La problématique ainsi posée, il s’agit en filigrane de voir comment, de la fin du XIXe siècle à la fin du suivant, le patrimoine alimentaire de la Touraine se construit.
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Nicolas Raduget
Berrichon d’origine, Nicolas Raduget est docteur en histoire contemporaine. Ses études à l’Université François-Rabelais l’ont d’abord mené jusqu’à un master d’histoire politique sur l’influence et l’action de l’ancien député-maire de Tours, Camille Chautemps. Son goût pour l’archive et les bibliothèques l’a ensuite incité à s’engager dans une thèse CIFRE avec le Conseil général d’Indre-et-Loire, visant à étudier les conditions de l’émergence du patrimoine alimentaire de la Touraine. Désormais chercheur indépendant (qui répond aux mails assez vite), il est par ailleurs rédacteur en chef adjoint d’un site associatif consacré à la bande dessinée.

La construction d’un patrimoine alimentaire: l’exemple tourangeau

14 FÉVRIER 2016 | PAR NICOLAS RADUGET

En soutenant récemment une thèse sur les acteurs et les voies de la mise en valeur du patrimoine alimentaire de la Touraine des années 1880 à 1990, sous la direction du professeur Jean-Pierre Williot, à l’université François-Rabelais, j’avais la lourde tâche de résumer brièvement cinq ans de lectures et de dépouillements. Tenzo m’offre aimablement la possibilité d’en faire de même, qui plus est le jour de la Saint-Valentin, histoire de symboliser la relation fusionnelle du jeune chercheur avec son sujet d’étude !

Le patrimoine alimentaire implique des produits, bruts ou transformés, des pratiques et un savoir-faire qui leur sont liés, et qui constituent un héritage culturel. C’est ce que l’on peut écrire en essayant de résumer la pensée de Jacinthe Bessière et Laurence Tibère, qui ont défini plus longuement ce concept complexe.[1] Aujourd’hui, à l’heure du tout patrimoine, la notion s’est considérablement développée, ce qui n’était pas le cas à la fin du XIXe siècle. Pour autant, l’absence du terme ne signifie pas l’absence de l’idée, ce qui justifie à mon sens l’emploi de l’expression dans ce travail. En effet, l’essor des cuisines régionales a progressivement érigé les spécialités locales en éléments remarquables de la nation. Les produits qui, sous l’Ancien Régime, servaient à asseoir la notoriété de certaines villes – Philippe Meyzie l’a montré avec sa thèse sur le Sud-Ouest aquitain[2]–, franchissent un nouveau cap. On parle en effet au début du XIXe siècle d’une « monumentalisation » de la spécialité alimentaire, qui place l’aliment sur la même marche qu’un château ou une cathédrale. L’Almanach des Gourmands de Grimod de la Reynière a en cela été surnommé le « Guide Grimod » par Pascal Ory puis Julia Csergo[3]. La question d’un processus patrimonial apparaît dès lors tout au long de l’époque contemporaine, chaque région incluant sa gastronomie dans les caractéristiques importantes de son identité.

La spécificité d’un espace, la Touraine

Le choix de la Touraine comme entité géographique est dû au fait que, depuis la Renaissance, la contrée est surnommée le « jardin de la France », héritage de la présence royale en Touraine qui en fait une terre fertile vantée pour ses fruits et légumes. En outre, actuellement, l’hédonisme gastronomique tourangeau fait la part belle, en dehors des vins, produits les plus connus, à la charcuterie (rillettes, rillons), aux volailles aux couleurs contrastées (géline noire, oie blanche), au fromage de Sainte-Maure-de-Touraine ainsi qu’aux douceurs sucrées comme la poire tapée et le macaron de Cormery. Dès lors, la question de l’appropriation de ces produits par les acteurs locaux était stimulante.

Source: DELAMARE DE MONCHAUX (Comte), Toutes les poules et leurs variétés : description, standard, points, élevage, Paris, Amat, 1924.

Source: DELAMARE DE MONCHAUX (Comte), Toutes les poules et leurs variétés : description, standard, points, élevage, Paris, Amat, 1924.

Comment, dans un département qui n’a pas d’identité alimentaire aussi marquée que d’autres en France, avec des plats emblématiques que la choucroute ou la bouillabaisse, s’est-on attaché depuis la fin du XIXe siècle à reconnaître et diffuser les productions locales ? Quels sont les acteurs impliqués et les stratégies employées qui ont abouti à la promotion actuelle ? La problématique ainsi posée, il s’agit en filigrane de voir comment, de la fin du XIXe siècle à la fin du suivant, le patrimoine alimentaire de la Touraine se construit.

Une mise en patrimoine progressive

Une première période, s’échelonnant des années 1880 à la Grande Guerre, permet à la Touraine alimentaire de s’affirmer. La mise en lumière nationale permise par les Expositions universelles et incarnée par Paris déteint sur la province qui, elle aussi, cherche à s’exprimer avec faste. L’Exposition Nationale de 1892 marque la grande entrée de Tours dans cette valorisation contemporaine. La réputation de « jardin de la France » sert de moteur aux efforts locaux. Le jeu des récompenses, encourageant le mérite et le progrès, fait de l’événement un grand moment républicain, salué par le ministre en visite.

En complément de l’aspect politique, les conséquences économiques de la révolution industrielle engendrent un développement agricole et commercial au tournant du siècle. Le syndicalisme se développe en Touraine comme ailleurs. Les secteurs des vins ou des produits laitiers se structurent progressivement. Sous la conduite d’ingénieurs agronomes, comme le directeur des services agricoles, Jean-Baptiste Martin, un enseignement républicain très scolaire est prodigué aux cultivateurs pour qu’ils soignent leur travail. La fraude est combattue et la sauvegarde de certaines productions locales, comme le pruneau, est déjà en question. D’autres débouchés sont alors recherchés. Martin prend par exemple la direction du Club avicole de la Touraine à sa création, en 1909, et peuple les basses-cours d’une poule noire, la géline de Touraine. Elle symbolise la volonté locale d’innover pour mettre en valeur le territoire.

Folklore, régionalisme et promotion touristique

La perspective touristique nouvelle, plus ample, amène aussi au tournant du vingtième siècle certaines denrées de production domestique, comme les rillettes et le fromage de chèvre, à devenir des spécialités en tant que telles. Les cartes postales s’en emparent. Des jeunes filles en tenue typique sont immortalisées un pot de rillettes à la main, ou un panier garni des légumes du « jardin de la France ». Elles dégustent également les vins du cru qui occupent majoritairement l’espace promotionnel. Les spécialités alimentaires participent d’une mise en scène folklorique.

Source : AM Tours, 11Fi17-2882.

Source : AM Tours, 11Fi17-2882.


Source : AM Tours, 11Fi17-2904.

Source : AM Tours, 11Fi17-2904.

Intégrant les produits alimentaires parmi les richesses locales, le régionalisme, à son apogée entre les deux guerres, joue un rôle clé dans la création patrimoniale. Une date importante est le lancement, en 1921, de la Grande semaine de Tours par Camille Chautemps, qui cherche à faire de sa ville une capitale agricole et administrative, influente sur une large région « Centre Ouest ». Parallèlement à cela, la Touraine suit le développement alimentaire national. Les terroirs viticoles s’affirment un peu plus avec l’aboutissement de la démarche d’appellation d’origine. L’aviculture locale connait son moment de gloire, et avec elle la Géline de Touraine, qui rivalise avec les volailles de Bresse. Enfin, les premières marques de camembert de Touraine et de Sainte-Maure accompagnent dans les années trente, la progression de la fédération des coopératives laitières, qui part à la conquête de nouveaux marchés, toujours sous la houlette de Jean-Baptiste Martin.

Politique et économique, le régionalisme est enfin culturel, bon nombre de passionnés vantant les mérites d’une gastronomie tourangelle à travers la littérature. Aux côtés des écrits touristiques de Curnonsky ou de Marcel Rouff, pour qui la Touraine n’est qu’une simple étape du tour de France, des romanciers ou des médecins écrivent leur amour de la contrée, en insistant sur la bonne chère. Les bienfaits du pruneau sont célébrés, de même que la consommation du Vouvray et des autres crus locaux, avec la bénédiction des médecins amis du vin. Les éditions tourangelles Arrault jouent un grand rôle en se spécialisant dans les publications de ce type.

Source : SOPHOS, O, Les nobles vins de la Touraine, Tours, Arrault, 1937.

Source : SOPHOS, O, Les nobles vins de la Touraine, Tours, Arrault, 1937.

Pourtant, malgré les efforts de ces acteurs variés, certains produits, tels la poire tapée et le pruneau, ne résistent pas aux évolutions économiques et, faute de main d’œuvre, notamment, disparaissent. Le « jardin de la France » ne survit que dans les textes et dans l’imaginaire entretenu par le tourisme.

De la valorisation du territoire à la mode du local

L’entrée dans le second vingtième siècle inaugure enfin ce que nous avons appelé l’étrange cohabitation entre le productivisme et la valorisation locale. L’ère Jean Royer à la mairie de Tours s’ouvre en 1959, sur une période d’expansion au cœur des « Trente Glorieuses ». Les foires sont repensées, et la valorisation du terroir est alors en retrait au profit du seul territoire, désireux d’être une terre de congrès et d’accueil pour les industries. Les châteaux ont toujours la primeur s’agissant du tourisme mais les Anglais, notamment, sont des cibles privilégiés pour la diffusion des vins de Touraine. Le prince Charles a récemment montré, en recevant à Paris le prix François Rabelais, que la réputation des vins de Chinon et de Saint-Nicolas-de-Bourgueil n’a pas échappé aux plus hautes instances du Royaume. Un autre Charles, Barrier, qui obtient une troisième étoile Michelin en 1968, incarne la qualité de la restauration locale.

Subsiste également à cette période une forme de régionalisme teinté de folklore qu’illustrent la société d’originaires « la Touraine à Paris », et les confréries. Ces mouvements contribuent à entretenir un esprit humaniste et gourmand au « jardin de la France ». Ce n’est pas sans importance car c’est cette image, véhiculée par le tourisme, qui prime au moment où la standardisation est remise en cause. Lors des crises des années 1970, le local, de nouveau à la mode, a des effets rassurants. Les vins et le fromage incarnent le « terroir ». La décennie suivante les intègre à la démarche patrimoniale qui entame sa généralisation.

Programme de la Foire agricole de 1979. Source : AM Tours, 3F, Boîte 150, Foire agricole de l’Ouest européen 1979, Programme officiel.

Source : AM Tours, 3F, Boîte 150, Foire agricole de l’Ouest européen 1979, Programme officiel.

Conscients que la Touraine « était » riche d’autres produits, des passionnés dépoussièrent les spécialités oubliées. La géline de Touraine et la poire tapée redeviennent soudainement importantes, l’association des « Croqueurs de pommes » s’intéresse aux anciennes variétés de fruits, et sous le contrôle du directeur du laboratoire d’analyses, Jacques Puisais, on recherche le caractère originel des rillettes. Avant que les pouvoirs publics ne prennent, parfois, le relais, les relances d’anciennes spécialités semblent d’abord être le fruit d’un travail de consommateurs, de passionnés. La presse, à travers l’exemple du Magazine de la Touraine, contribue aussi à valoriser les richesses et à leur donner de l’importance.

Intérêts de la recherche et suggestions

Dès lors que le sujet renvoie à l’histoire économique, politique et culturelle, il faut veiller à la sélection des sources, pragmatique, qui sollicite « le talent du chercheur ».[4] La documentation trop importante – osons le néologisme et appelons ça la « dodumentation » en histoire de l’alimentation – peut avoir des effets contreproductifs. Sans revenir sur les sources classiques qui sont détaillées dans la thèse, disons un mot du recours à la littérature qui est une piste toujours intéressante. Les romans donnent un point de vue, renvoient une certaine image, différente de ce que l’on peut trouver ailleurs. Les œuvres de Maurice Bedel ou de René Boylesve témoignent par exemple qu’il existe un club des amoureux de la gastronomie tourangelle, désireux de la faire connaitre. Avant eux, Balzac renseignait sur les premières consommations urbaines des rillettes. Si Rabelais reste la référence ultime, son image étant associée jusqu’à une marque de biscottes, d’autres auteurs lui ont emboîté le pas à l’époque contemporaine. Les folkloristes, de Jacques-Marie Rougé à « la Ligouère de Touraine », formation musicale, ont joué leur rôle également. Le premier est encore cité comme référence dès lors qu’il s’agit d’évoquer les « traditions » locales. C’était aussi l’une des raisons d’être de cette thèse que de compléter l’apport des travaux d’érudits, dont la seule occurrence posait parfois problème au monde académique.

Le volet touristique de notre étude permet aussi de confirmer que l’influence extérieure dans la construction des cultures alimentaires est indéniable. La cuisine tourangelle, comme celle des autres régions, est en réalité une cuisine de représentations, stéréotypée, entretenue par les publications touristiques parisiennes et la littérature régionaliste. L’imaginaire et le regard extérieur sont au cœur de la construction patrimoniale.

Une autre observation doit être faite quant à la place de l’Indre-et-Loire dans la promotion nationale, pour tenter d’expliquer pourquoi le département reste relativement en retrait par rapport à d’autres… comme s’il baignait dans son propre cliché de la douceur de vivre et de l’insouciance. Les faits le montrent, les Tourangeaux ont plus souvent été dans la réaction que dans l’action. D’emblée, le « jardin de la France » se construit pourtant une réputation qui, au regard des discours, est peu modeste. Il a pour objectif ambitieux d’accueillir la première foire agricole française à l’époque de Chautemps, puis d’incarner « l’Ouest européen » sous l’ère Royer. À chaque fois, ses aspirations sont cependant contrariées, de la même manière que le titre de capitale de région, longtemps convoité, lui échappe au profit d’Orléans. C’est une preuve que la réputation ne fait pas tout.

La discipline historique, rendant compte de plusieurs césures, et confirmant le caractère évolutif du patrimoine alimentaire, permet d’avoir un regard différent ou complémentaire des principaux travaux sur cette question, qui émanent d’anthropologues et de sociologues.[5] S’ils encouragent avec bonheur l’interdisciplinarité, ils s’inscrivent dans le temps présent, pas forcément délimité, ce qui pose problème à l’historien dès lors qu’il cherche à comparer ses résultats. On ne peut donc qu’encourager les investigations historiques sur d’autres régions, cette thèse cherchant déjà à s’inscrire dans la lignée des chercheurs qui ont pris en compte cette dimension dans leurs travaux. C’est le cas par exemple de l’anthropologue Gilles Laferté pour la Bourgogne et de Claire Delfosse, en géographie, pour le fromage et le patrimoine de Rhône-Alpes.

Espérons pour finir que cette thèse puisse, au-delà de son apport scientifique, faire naître une action de valorisation locale pour certains produits, de même que les inventaires du patrimoine culinaire de la France se destinaient en partie à cela. C’est toute la question que de savoir si une étude universitaire objective sur la mise en valeur d’un patrimoine peut servir à sa valorisation effective. Les futurs projets de la collectivité locale ou de l’association Tours Cité internationale de la gastronomie y répondront sans doute.

Bibliographie

∴ ANDRIEUX, Jean-Yves, et HARISMENDY, Patrick (dir.), L’assiette du touriste. Le goût de l’authentique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2013.
∴ BÉRARD, Laurence, MARCHENAY, Philippe, HYMAN, Mary et Philip, et BIENASSIS, Loïc (dir.), L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France : produits du terroir et recettes traditionnelles, Région Centre, Paris, Albin Michel, 2012.
∴ CAMPANINI, Antonella, SCHOLLIERS, Peter, et WILLIOT, Jean-Pierre (dir.), Manger en Europe : patrimoines, échanges, identités, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011.
∴ HACHE-BISSETTE, Françoise, et SAILLARD, Denis (dir.), Gastronomie et identité culturelle française : Discours et représentations (XIXe-XXIe siècles), Paris, Nouveau Monde, 2007.
∴ MARACHE, Corinne, et MEYZIE, Philippe (dir.), Les produits de terroir. L’empreinte de la ville, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2015.
∴ THIESSE, Anne-Marie, Ils apprenaient la France : L’exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1997.
Pour consulter la thèse en intégralité:
RADUGET, Nicolas, Les acteurs et les voies de la mise en valeur du patrimoine alimentaire de la Touraine des années 1880 à 1990, thèse de doctorat d’Histoire (direction Jean-Pierre Williot), Université de Tours, 2015. [consultable en ligne sur theses.fr].

Notes de bas de page

[1] BESSIÈRE, Jacinthe, et TIBÈRE, Laurence, « Innovation et patrimoine alimentaire en Midi-Pyrénées », Anthropology of food [http://aof.revues.org/6759], n° 8, 2011.

[2] MEYZIE, Philippe, Culture alimentaire et société dans le Sud-Ouest aquitain du XVIIIe au milieu du XIXe siècle : goûts, manières de table et gastronomie, l’émergence d’une identité régionale, thèse de doctorat d’Histoire (direction Josette Pontet), Université de Bordeaux 3, 2005.

[3] ORY, Pascal, « La gastronomie », in NORA, Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, tome 3, Paris, Gallimard, 1997, p. 3752 ; CSERGO, Julia, « La gastronomie dans les guides de voyage : de la richesse industrielle au patrimoine culturel, France XIXe-début XXe siècle », In Situ [http://insitu.revues.org/722], n° 15, 2011, p. 3.

[4] MARROU, Henri-Irénée, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1975 [1954], p. 69.
[5] Voir notamment BESSIÈRE, Jacinthe, Valorisation du patrimoine gastronomique et dynamiques de développement territorial : le haut plateau de l’Aubrac, le pays de Roquefort et le Périgord noir, Paris, L’Harmattan, 2001 ; BÉTRY, Nathalie, La Patrimonialisation des fêtes, des foires et des marchés classés « sites remarquables du goût » ou la mise en valeur des territoires par les productions locales, thèse de doctorat de Sociologie et Anthropologie (direction Jean-Baptiste Martin), Université de Lyon 2, 2003 ; FAURE, Muriel, Du produit agricole à l’objet culturel. Les processus de patrimonialisation des productions fromagères dans les Alpes du Nord, thèse de doctorat de Sociologie et Anthropologie (direction Jean-Baptiste Martin), Université de Lyon 2, 2000.

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Voyage en terre inconnue: le tourisme gastronomique comme objet de distinction sociale http://tenzo.fr/articles/tourisme-et-gastronomie/ Sun, 27 Dec 2015 11:47:36 +0000 http://tenzo.fr/?p=1329
Alors que le lien entre gastronomie et tourisme ne date pas d’hier, l’expérience culinaire est de plus en plus considérée comme objectif principal du voyage organisé. Les expressions pour désigner ce phénomène sont variées : du « culinary tourism » américain à l’ « enoturismo » italien, en passant par l’agrotourisme français ou le « tasting tourism » anglais.
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Voyage en terre inconnue: le tourisme gastronomique comme objet de distinction sociale

27 DECEMBRE 2015 | PAR GAELLE VAN INGELGEM

Alors que le lien entre gastronomie et tourisme ne date pas d’hier, l’expérience culinaire est de plus en plus considérée comme l’objet principal du voyage. Les expressions pour désigner ce phénomène sont variées : du « culinary tourism » américain à l’ « enoturismo » italien, en passant par l’agrotourisme français ou le « tasting tourism » anglais. Ce sujet aux multiples facettes est défini par Lucy M. Long comme

« the intentional, exploratory participation in the foodways of an other–participation including the consumption, preparation, and presentation of a food item, cuisine, meal system, or eating style not one’s own »[1]

Ainsi, le tourisme culinaire fait référence à toute une série d’activités, allant du fait de manger dans un restaurant ethnique, à la compilation de nouvelles recettes de cuisine, en passant par l’achat de produits alimentaires. Leur point commun ? La confrontation avec l’ « Autre », l’étrangeté ; cette confrontation pouvant être toute relative, voire carrément fantasmée.

Bibliography

 

∴ BOURDIEU (P.), Distinction. A social critique of the judgement of taste, Routledge, London, 1984.

 

∴ HJALAGER (A.-M.), RICHARDS (G.) (dir.), Tourism and gastronomy, Routledge, London, 2002.

 

∴ LONG (L. M.) (dir.), Culinary tourism, University press of Kentucky, Lexington, 2003.

 

∴ MOWFORTH (M.), MUNT (I.), Tourism and sustainibility. New tourism in the third world, Routledge, London, 1998.
∴ JOHNSTON (J.), BAUMANN (S.), “Democracy versus Distinction: A Study of Omnivorousness in Gourmet Food Writing.” American Journal of Sociology 113, no. 1 (July 2007): 165–204.

Le bon goût constitue dans la plupart des cultures un symbole de distinction sociale.[2] Acte de commensalité, le moment du repas rassemble et témoigne des habitudes alimentaires de chacun qui elles-mêmes reflètent notre position au sein du groupe. Ainsi, nos choix en matière alimentaire jouent un rôle fondamental dans cette logique de distanciation socio-culturelle. Ceux-ci varient dans le temps et l’espace. Pour les classes aisées occidentales, le simple fait de se rendre au restaurant constituait, jusque dans les années 50 au moins, un moyen de se différencier du reste de la population. De son côté, la démocratisation de la pratique touristique tout au long du XXe siècle – loin d’avoir aboli le régime d’exclusivité – a permis l’expression de nouvelles valeurs et pratiques susceptibles d’être valorisées socialement.

Comment s’articule cette relation entre tourisme et gastronomie ?

Le rôle des guides touristiques

Se nourrir constituant une nécessité du voyage, les informations alimentaires sont rapidement apparues dans les guides pour voyageurs. Ces renseignements avaient aussi pour vocation d’attirer l’attention sur ce qui mérite d’être vu, connu et goûté au sein d’un territoire donné. Ainsi, la satisfaction du plaisir du goût pour les personnes itinérantes devance largement l’apparition assez tardive du terme « gastronomie ».

Almanach des Gourmands, 1804

Almanach des Gourmands, 1804

Nous sommes encore loin de la patrimonialisation de la gastronomie, phénomène qui date de la fin du XXe siècle. Toutefois le train est en marche, Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière en étant l’instigateur.

Ce fondateur de la critique gastronomique est le premier à attribuer au champ de la gastronomie la notion de « patrimoine » par l’intermédiaire de son Almanach des gourmands, la première édition datant de 1803. Ce guide gourmand exige la qualité, évalue les établissements, signale les lieux dans lesquels se sustenter et établit ces critères suivant l’ambition première de satisfaire le plaisir du goût. Jusqu’alors ces informations apparaissaient dans des catégories se vouant aux pratiques agricoles d’un territoire, à sa production industrielle ou commerciale. La nouveauté du propos de Grimod de la Reynière est de considérer le domaine alimentaire comme un savoir-faire, en lien avec les qualités d’un terroir et la mémoire. Informer, décrire mais aussi prescrire des lieux alimentaires dignes d’être visités devient progressivement l’objectif des guides touristiques.[3]

Ainsi, l’art de bien manger ne concerne pas que les cuisiniers et les gourmands. Les villes gastronomiques se construisent surtout par l’intermédiaire des commentateurs, leur nombre ne cessant de croître tout au long du XXe siècle. Si les guides jouent toujours ce rôle de prescripteur, les blogs culinaires, magazines spécialisés et sites internet ne manquent pas de faire la promotion des restaurants et autres établissements alimentaires du moment. Tous ces médias culinaires jouent le rôle de promoteurs de l’alimentation comme mode et donc aussi comme distinction.

Le point commun entre tous ces acteurs est qu’ils sont soumis à une mobilité croissante. À la recherche de toujours plus d’exclusivités, critiques gastronomiques et chefs parcourent la planète en vue de rapporter de nouvelles techniques, pratiques et ingrédients. Des personnalités télévisuelles comme Antonio Carluccio, Keith Floyd, Alain Ducasse, Julie Andrieu, ou encore Jamie Oliver ont construit leur notoriété sur base des connaissances glanées au cours de leurs voyages à l’étranger.

Capital culturel et distinction sociale

Alors que les lignes de démarcation entre les différentes classes sociales se sont considérablement amenuisées au fil du temps, nos modes de vie constituent pourtant un net marqueur de différenciation. La pratique du tourisme de type gastronomique peut être envisagée dans cette logique. Si l’expérience gastronomique n’est plus aujourd’hui cantonnée aux grands restaurants étoilés, il apparait au contraire que la consommation de repas simples, économiques et locaux soit particulièrement valorisée. L’objectif du touriste étant alors de jouir d’une cuisine que ses semblables ne pourraient goûter chez eux.

Contrairement au capital économique, le capital culturel ne s’achète pas mais témoigne de la capacité à accumuler des connaissances et pouvoir apprécier un certain type de nourritures, de boissons, de vêtements, de vacances, etc. En d’autres termes, il s’agit de la capacité à identifier la valeur culturelle de certaines formes de consommation. Le tourisme peut donc aussi constituer une forme de stratégie pour se forger une réputation; s’éloigner du tourisme de masse et du « sea, sex and sun » en privilégiant un tourisme au goût unique, de qualité et alternatif, fruit d’une initiative individuelle, plutôt que d’un tour-opérateur proposant des voyages organisés.

La variable culturelle est donc capitale dans cette analyse du rôle social de cette nouvelle forme de tourisme. En effet, pour pouvoir choisir les bons restaurants, les bonnes destinations et goûter aux bons produits, il faut avoir eu l’occasion de se renseigner dans les bonnes sources d’informations au préalable. Se distinguer de la masse en allant dénicher le restaurant local « typique » demande une certaine connaissance du sujet.[4]

Dès lors, la quête du rural, du local et de l’authentique constitue un des principaux arguments attractifs du tourisme culinaire. Des produits et cuisines traditionnelles parfois oubliées sont élevées au rang de nourritures gastronomiques à découvrir en vacances. Nous sommes dans un contexte de différenciation des terroirs ; des cuisines régionales sont remises au goût du jour pour satisfaire la demande du touriste. Ces processus de patrimonialisation participent à la valorisation touristique d’un lieu. Le goût pour l’authentique et le fait-maison est ainsi mis en opposition à la consommation de produits industriels.

Conclusion

En cherchant du confort et du familier à l’étranger, les touristes participent à la standardisation et à l’homogénéisation de la nourriture disponible dans des espaces hétérogènes à travers le monde. Le résultat de ce processus réside dans son pendant inverse, à savoir la résurrection, la sauvegarde, la réinterprétation voire l’invention de traditions.[5] Local et global forment donc une opposition dialectique créant de nouvelles pratiques, habitudes et modes de vie.[6] Parmi elles, nous trouvons la volonté de pratiquer un tourisme plus respectueux de l’environnement, des populations locales, de leurs cultures et traditions.

Toutefois, cette pratique touristique ne traverse pas toutes les classes sociales. Dans sa capacité à mettre en évidence des valeurs au capital culturel fort, il s’agit d’un moyen parmi d’autres de se distinguer socialement.[7]

« Dis-moi comment tu voyages et je te dirai qui tu es»

Alors que le tourisme nous fait vivre des expériences qui nous manquent communément, il constitue donc aussi une extension de notre vie quotidienne.

Notes de bas de page

[1] LONG (L. M.) (dir.), Culinary tourism, University press of Kentucky, Lexington, 2003.

[2] BOURDIEU (P.), Distinction. A social critique of the judgement of taste, Routledge, London, 1984.

[3] Sur la patrimonialisation alimentaire, voire BIENASSIS (L.), « Les chemins du patrimoine », dans A. Campanini, P. Scholliers, J.-P. Williot (dir.), Manger en Europe. Patrimoines, échanges, identités, Bruxelles, Peter Lang, 2011, pp. 45-91.

[4] À ce sujet, voir JOHNSTON (J.), BAUMANN (S.), “Democracy versus Distinction: A Study of Omnivorousness in Gourmet Food Writing.” American Journal of Sociology 113, no. 1 (July 2007): 165–204.

[5] HOBSBAWM (E.), RANGER (T.), The invention of tradition, Cambridge, 1983.

[6] FUMEY (G.), Manger Local, Manger Global. L’alimentation Géographique, Paris, CNRS Edition, 2010.

[7] JOHNSTON (J.), BAUMANN (S.), op cit.

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Maltese History through a sweet tooth http://tenzo.fr/articles/maltese-history-through-a-sweet-tooth/ Sun, 13 Dec 2015 10:00:16 +0000 http://tenzo.fr/?p=1255
A glimpse of Maltese History through local desserts
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Maltese History through a sweet tooth

13 DECEMBER 2015 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

 

Malta might not appear very impressive in size when looking at a map of Europe, but the same cannot be said for its History. Over the centuries, a succession of foreign occupation left its trace on the Maltese heritage. Mentioning the country’s name quite often brings the Knights of the Order of Saint John to mind. However Malta’s History began long before 1530. A short overview through Maltese desserts will retrace the different periods of occupation.

 

Despite having found little analysed sources on the Maltese diet prior the arrival of the Order, we can notice a great influence from North African cultures when it comes to ingredients. Indeed after a long period under the Byzantin Empire, Malta was conquered by the Arabs in AD 870, which also got hold of Sicily at the same time. Thereafter Muslims Arabo-Berbers colonists and Christian slaves arrived on the island.

 

These cultural influences can be found in the Maltese food of the time, in particular in confectionary and pastries. As G.Cassar-Pullicino explains:

 

“Alla luce della filologia comparata, le varie influenze cui andarono, soggette le nostre isole si riflettono chiaramente; influenze che si fanno risentire la lontana dimenzione araba, le relazioni commerciali coi paesi dell’Africa del Nord […]”.1

 

Thus we can find mentioning of candied fruits, fruit paste and the use of dried fruits in the chronicles of the Renaissance. The use of honey and various types of seeds is also characteristic in this period.

 

imageIt is therefore possible to get nowadays biscuits named Qagħaq Tal-Gunglien, small ring-shaped biscuits made of simple dough and covered with sesame seeds. Cassar-Pullicino stresses the link between food habits and farming which explains the use of crop products as the base of Maltese pastries. In his description of Qagħaq, different recipes are cited, each variety depending on the social affiliations:

 

“La gente contadina le forma or di pura pasta ora di pasta con gioggiolena coperta, ora di pasta ripiena col miele; le Monache le riempiono ora di miele ora di conserva […]”2

 

The basic ingredients howeverqaghaq remain the same: eggs, honey (later on sugar), flour. De Soldanis3 also recalls a version of Qagħaq filled this time with honey or a fruit paste. The latter being similar to today’s Christmas Qagħaq, Qagħaq Tal-Għasel which is filled with a paste of combined golden syrup, citrus fruits, dried fruits, sugar, spices, dark chocolate etc.

 

Another influence from Malta’s Arab past and very much part of today’s life is coffee. Like in many other countries, coffee closes a meal. If this beverage rose in Europe in the mid 17th century, it had been in the Maltese habits for decades. In fact, the introduction of coffee on the island happened through slavery. Muslim Turkish slaves made prisoners by the Order of Saint John were held in prisons where they prepared their traditional beverage. As Domenico Magri mentions in his work Virtu del Kafé,

 

“Those Turks, most skilful makers of this concoction”4

were very much sought after by the Knights themselves who became rapidly fond of the drink. Another statement from the German traveller Gustav Sommerfeldt in 1663 stresses the aroused enthusiasm,

 

“the ability and industriousness with which the Turkish prisoners earn some money, especially by preparing coffee, a powder resembling snuff tobacco, with water and sugar”.5

The Knights’ fondness for coffee lead to its introduction in Maltese high society. Its success was such that soon enough coffee shops opened and the beverage became popular amongst the entire country. The recipe for Maltese coffee was initially made with grounded coffee beans added to boiling water with cloves and was left to brew as long as it takes to recite a Creed. In the 18th century, coffee was seen as dessert, often served with a small piece of cake, as mentioned in de Soldanis’ dinner recollection:

 

“For dessert coffee would have been served with a piece of kaghka (pastry with sesame seeds or flavoured with honey; stuffed with honey or preserved fruits).”6

The Arab influence is therefore very much part of the Maltese culture, which if obvious in its language, is just as much in its gastronomy.

 

4284552063_8281916d6a_oHowever it is not the single influence on Maltese cuisine. Italy also played its part. As mentioned previously, Italy and Malta had strong connexions during the Arab occupation of the island and of Sicily, so much so that this part of Europe was once named the Two Sicilies. Commercial and cultural exchanges followed. Furthermore did the Order of the Knights contribute greatly to this Italian print. The Knights originating from European nobility, their lifestyle had to be maintained at certain standards. But if Malta was rich in terms of food variety, its quantities weren’t sufficient enough to nourish the entire population; besides ingredients for every European diet couldn’t be found on the island. Malta was therefore supplied in majority by Sicily as well as by merchants’ ships from other European countries.

This is how nougat made an entrance in Malta. The honey island found there a sweet fitting perfectly for its food heritage. During the 18th century, Qubbjat (Cubbaitu in Sicilian) was made of honey, caramel and grated lemon peels. This treat was part of the Knight’s menus at the auberges in the 17th century. Quoting for instance the German Knights’ menu in 1691 for Saint Martin’s day:

 

“On St Martin’s day, the elders received, in addition to their usual meal, one and a half rotolos [1 rotolo = ∾ 800g] of candied fruit; three quarters of a rotolo of sweet biscuits, two rotolos of cubbaita (…). The young Knights (fiernaldi) only celebrated Saint Martin’s feast with the addition of one rotolo of nougat (…). The cook and the Master of the Table also partook of the nougat (…)”.7

Nowadays this treat is still offered in tea-rooms and pastry shops with slight changes in the ingredients with the likes of almonds, nuts, sesame seeds, sugar and cinnamon powder.

 

If Italy is renowned in the sweet Fruit Sorbet shapesdepartment it can be for its ice-cream. And this dessert has indeed crossed the sea towards Malta. One of the most important food for every resident on the island judging by the local temperatures and weather. The Mediterranean heats were the main cause for the expanding ice and snow trades between both countries. Regular deliveries in provenance of Mount Etna contributed to the success of frozen desserts in high society. Rapidly a snow depot was built on the Marina. In 1664, ice was used to make ice-cream, sorbet and chill drinks. Ice-creams were often made in the shape of fruits, flavoured with fruits or chocolate, cinnamon, coffee, pistachio and other flavours. Michele Mercieca8 wrote in 1748 a recipe book in which techniques of how to shape and paint ices to look just like fruits were detailed.

 

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Finally the British influence followed in a later period from 1800. Christmas celebrations in Malta became more and more British at the beginning of the 20th century. Thus family meals had Christmas puddings, mince pies and fairy cakes on their festive menus. Today this tradition remains and puddings are prepared weeks in advance at both ends of the European continent.

 

The absence of French influence on pastries is noticeable. Even if the Renaissance was the golden period for French cuisine and gastronomy, unpleasant memories of Napoleon times in Malta after the French revolution marked the rejection of French taste by the Maltese. Only a few savoury recipes subsisted.

 

Despite all these foreign influences, Malta also had its own touch on its food heritage. Although being an island, Malta had similarities with its neighbour countries, one of them being food crisis. Over centuries grain shortage, epidemic and war have broughtmaltese pudding up a cuisine of conserve as well as a cuisine of necessity. We can find amongst recipes the Maltese bread pudding (Pudina Tal-Ħobz), a bread-cake also very popular in the rest of Europe. If today’s Maltese recipe is a mix of fruits and cinnamon powder added to bread, milk and eggs, in the past it used to be old bread mixed to available leftovers, whether it be sweet like savoury. The result being a rich cake, filling and having a surprise factor at each bite, this dessert brought a festive twist to the table.

 

Through this sweet journey, we discover different aspects of Maltese heritage and of its people. The island’s cuisine managed to appropriate itself tastes and flavours from the successive foreign occupations, according to their preferences. If the love of good food of Maltese is evident, a sweet-tooth is also noticeable. Maltese pastries are a real source of information on the country’s History since not only does it retrace the various periods of occupation but it brings them back to life taste-wise since very little has changed in the ingredients of recipes. A balade gourmande for tea-time might be as instructive as a History class…

Bibliography

 

∴ Bonello, Giovanni, Histories of Malta – Deceptions and Perceptions, Vol.1, 2000.

 

∴ De Soldanis, an eighteenth century intellectual, Malta: Heritage Malta and the Ministry of Gozo, Vella, G & O.Vella editions, 2012.

 

∴ G.Cassar-Pullicino, Antichi Cibi Maltesi in Melita Historica : journal of the Malta Historical Society, 3(1961)2(31-54).

 

∴ Freller, Thomas, Malta and the Grand Tour, Maltese Social Studies Series n°18, 2009.

 

∴ Cremona, Matty, The way we ate – memories of maltese meals, Midsea Books, 2010.

 

 

Footnotes

1G.Cassar-Pullicino, Antichi Cibi Maltesi in Melita Historica : journal of the Malta Historical Society, 3(1961)2(31-54).
2ibid.
3Gian Pietro Francesco Agius de Soldanis (1712-1770): Maltese linguist and cleric.
4Virtù del cafe, Domenico Magri, Rome 1671.
5“Eine Reise nach süditalien und Malta …”, in Archive für Kulturgeschichte, Vol. VIII, 1910).
6De Soldanis, an eighteenth century intellectual, Malta: Heritage Malta and the Ministry of Gozo, Vella, G & O.Vella editions, 2012.
7Giovanni Bonello,“Feasting and fasting at the time of the Knights”, Histories of Malta – Deceptions and Perceptions, Vol.1, 2000.
8Michele Mercieca, Libro di Secreti per Fare Cose Dolci di Varii Modi, 1748.

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À LA LOUPE – Pierre Boissard – Le camembert, mythe français http://tenzo.fr/a-la-loupe/a-la-loupe-pierre-boissard-le-camembert-mythe-francais/ Wed, 09 Dec 2015 10:21:24 +0000 http://tenzo.fr/?p=1135 Pieter+Claesz-Still-life+With+Turkey-pie
Titre : Le Camembert, mythe français Auteur : Pierre Boissard Maison d'édition : Odile Jacob Année de parution : 2007
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Pierre Boisard est docteur en sciences sociales du développement (École des hautes études en sciences sociales).  Il est chargé de recherche à l’UMR 8533 Institutions et dynamiques historiques de l’économie IDHE (École normale supérieure de Cachan/CNRS)Il est également chargé de cours en économie du travail et de l’emploi à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (master ATOGE) et à l’Institut des hautes études du goût, de la gastronomie et des arts de la table.

Le camembert, mythe français – Pierre Boissard

9 DÉCEMBRE 2015 | PAR DAVID LAFLAMME

« Le camembert a été pendant deux siècles une manifestation concrète de la cohésion nationale, et spécialement du lien entre les paysans et les citadins. La raréfaction des paysans ne peut être sans effet sur l’avenir du camembert et de son mythe… Le camembert a-t-il encore réellement un rôle à jouer dans la société française autre que celui d’un banal aliment? Rescapé d’une époque révolue et d’un monde englouti, il devient un témoin de l’Histoire, un messager du passé rappelant aux Français leurs origines paysannes. Mais son avenir ne devrait pas se limiter à témoigner du passé rural du pays. Chargé d’une histoire prestigieuse, témoin des grandes heures de la République et de toutes les transformations de la société française depuis deux siècles, il peut demeurer un point de repère national, à condition de garder sa diversité, de ne pas succomber aux pressions actuelles à l’uniformisation. » [1] 

Originalement publiée en 1992 chez Calmann-Lévy  sous le titre Le camembert mythe national, l’étude de Pierre Boissard est remarquable et fut remarquée! Elle fut traduite en anglais en 2003 (Camembert a National Myth, Berkeley) et rééditée chez Odile Jacob en 2007.

L’ouvrage est écrit sur un ton personnel qui facilite sa lecture. Boissard explique au lecteur qu’il ne souhaite traiter que de ce qui est véritablement intéressant et laisse aux autres auteurs le soin de traiter des informations plus rébarbatives. Il a ainsi préféré écrire l’histoire du puissant mythe rattaché à ce fromage plutôt que de chercher à tout prix à rétablir sa véritable histoire.  Il y a même quelques pages pour nous expliquer comment certains utilisent une science à demi occulte, appréciant des dizaines d’informations à la fois, pour trouver un camembert qui saura satisfaire leurs exigeantes papilles gustatives. Bref, un ouvrage rigoureux, mais d’une lecture simple, imagée, plaisante et divertissante.

Quelques informations tirées de l’ouvrage:

La rumeur colportée à travers les décennies veut que le camembert ait été inventé par Marie Harel vers 1791 au manoir de Beaumoncel à Camembert.  Marie aurait appris les méthodes de fabrication du Brie en côtoyant un prêtre réfractaire caché au village. Méthodes qu’elle aurait appliquée à la fabrication du fromage familial en utilisant les seuls moules qu’elle avait sous la main, des moules à livarot. Quelques décennies plus tard, Victor Paynel, le petit-fils de Marie, aurait offert du camembert à Napoléon III qui l’aurait trouvé fort bon et en aurait demandé des livraisons régulières.

« Marie Harel a beau avoir une statue, on ne sait pratiquement rien d’elle. Cette ignorance ne peut pas durer. Il faut absolument que l’on connaisse l’histoire de cette femme. Puisqu’il n’en existe pas, il va s’en créer une. En devenant célèbre, Marie Harel va se trouver dotée non pas d’une seule histoire, mais d’une floraison de récits racontant de différente manière l’invention du camembert et sa consécration ». [1]

Pierre Boissard explique qu’au début du XXe siècle,  le camembert est perçu comme étant une synthèse entre tradition et modernité, entre activité rurale et développement urbain.

« Dans la majorité, les Français  veulent un avenir pacifique, le maintien du prestige de leur pays et la préservation d’une France profondément rurale.  Le succès du camembert leur paraît témoigner de la vigueur et de la réussite d’une forme rassurante de modernité technique compatible avec l’ordre traditionnel sous l’égide de la République ». [3]

L’auteur, bien que s’intéressant avant tout au mythe entourant le fromage du Pays d’Auge, nous donne quantités d’informations sur les évolutions techniques et commerciales dont profite le camembert. Il explique par exemple en quoi 1850 est une date clef de l’histoire de ce fromage.

Gare de Vimoutiers mise en service en 1880.

Gare de Vimoutiers mise en service en 1880.

«  Auparavant, il n’est consommé que dans le pays d’Auge, alors que les autres fromages normands, le pont-l’évêque, le livarot et surtout le neufchâtel sont appréciés et vendus à Paris et ailleurs. À partir de cette date, il connait une progression foudroyante. Il conquiert le marché parisien, puis la plupart des grandes villes du pays, passe les frontières et traverse les océans. Ce prodigieux bond en avant est dû à la conjonction de plusieurs facteurs favorables, et en premier lieu à la construction d’un réseau ferré reliant le pays d’Auge à Paris. En moins de six heures, là où la diligence mettait trois jours, l’odorant produit parcourt la distance entre les ateliers de fabrication et les Halles. » [4]

En moins de dix ans, entre 1886 et 1894, les ventes de camembert aux Halles de Paris passent de 1241 à 2330 tonnes. Malgré cette progression, il n’atteint pas encore le niveau du brie.  En 1894, 27,5% des camemberts vendus à Paris ne sont pas produits en Normandie. [5]

« … Mais déjà les amateurs distinguaient le camembert vrai, qui, selon le géographe Ardouin-Dumazet, « parvient de la zone relativement étroite d’herbages autour de Mézidon, Saint-Pierre-sur-Dives, Livarot et Vimoutiers », du camembert d’imitation fabriqué ailleurs.  L’idée d’un cru ou d’une zone d’exclusivité pour le camembert, hors de laquelle il perdrait ses qualités spécifiques, apparaît à cette époque.  » [6]

Lorsque l’on visualise un camembert, l’on s’imagine presque systématiquement un fromage à croute blanche qui se conserve assez bien dans la moyenne durée, vendu dans une boite en bois ou en carton. Or, « …en 1880 le camembert est encore un produit fermier, un fromage fragile qui supporte mal les longs voyages. Sa croûte est plus souvent gris-bleu que blanche. » [7] À la fin du XIXe siècle, l’amélioration des méthodes de collecte du lait, la généralisation de l’utilisation de boites spécialement conçues et à l’ajout de Penicillium candidum, qui donne la couleur blanche, permettent au camembert de prendre l’apparence qu’on lui connait encore.

« Entre le camembert de Marie Harel et celui qui fait la joie des gourmets parisiens des années 1920, que de changements! Le fromage rustique des origines s’est policé, son goût s’est adouci, sa croûte blanchie, et il a troqué son emballage de paille pour une boîte en bois décorée d’une étiquette colorée. C’est le prix à payer pour l’accès au marché national et à l’exportation, et la conséquence d’une production sur une plus grande échelle. »  [8]

cam-lami-des-poilusLes producteurs de camembert sauront profiter de la Grande Guerre pour transformer l’image de leurs produits. « Parti au front comme un produit régional, il revient, français avant tout. Il s’identifie désormais à la nation plus qu’à sa région d’origine. » [9] Les étiquettes historiques des camemberts permettent de constater la volonté des producteurs à associer leurs fromages à l’alimentation des troupes françaises. Le camembert devient un aliment patriotique!

En 1928, le passage d’un médecin américain nommé Joe Knirim venu rendre hommage à Marie Harel en Normandie sera fort remarqué au niveau régional. Cet hommage est perçu comme une confirmation de l’antériorité et de la primauté du camembert normand. Paradoxalement, en soulignant l’identité régionale du camembert, l’on démontre que « […]le prestige de la France à l’étranger peut fort bien être porté par un produit du terroir et que l’enracinement local n’est pas en opposition avec le sentiment d’appartenance nationale. » [10]

« À la fin des années 1950, un ouragan s’abat sur les fromageries normandes. Balayant tout sur son passage, il ne laisse debout que quelques survivants parmi les dizaines d’établissements que compte cette région. Cet ouragan a pour nom « pasteurisation » […] Les industriels de l’Est qui n’ont pas l’atout du cru laitier et de la tradition sont les pionniers de cette nouvelle technique. Le développement industriel est pour eux le seul moyen de vaincre sur le marché leurs concurrents normands. Ces derniers, solidement assis sur leurs traditions et certains de la supériorité de leurs produits, se montrent hostiles depuis longtemps à ce nouveau procédé dans lequel ils voient, à juste titre, une menace. » [11]

«  Cru, pasteurisé, thermisé, moulé ou non à la louche, la diversité des apparences que revêt le camembert ne peut que dérouter le consommateur à la recherche de l’authentique. Mais quel est donc le camembert authentique? Beau sujet de conversation pour un dîner, lorsque le plateau de fromages fait son entrée. N’attendez pas de moi une réponse à cette grave question. Objet mythique, le camembert n’est pas réductible à une recette ou à une définition, il ne se laisse pas enfermer dans une boîte particulière, il est l’ensemble de ses manifestations passées, présentes et futures, sans restriction d’aucune sorte. C’est évidemment affaire de croyance. Si vous êtes persuadé qu’il n’est de camembert que moulé à la louche, vous n’aurez que mépris pour tous ces ersatz pasteurisés. Mais sachez au moins que la majorité des consommateurs ne s’arrête pas à de telles considérations. » [12]

«  Le camembert quant à lui a l’heureux privilège de présenter le double visage de la tradition et de la modernité, et de combler ainsi la volonté nationale. Mais sa tâche en est d’autant plus lourde qu’il lui faut être excellent dans les deux domaines : gagner de nouveaux marchés à l’exportation par sa compétitivité et satisfaire le palais exigeant des gourmets. C’est évidemment sur le versant de la tradition que la difficulté est la plus grande, alors même que c’est sur ce point que se joue l’avenir. Car si jamais le camembert  traditionnel devait disparaître, il y a fort à parier que les ventes du camembert industriel, privé de cette référence, ne tarderaient pas à s’effondrer. » [13]

À propos de l’AOP Camembert de Normandie.

Dès la fin du XIXe siècle, des « camemberts » étaient produits un peu partout en France, de nos jours on en produit un peu partout dans le monde.  Les producteurs normands, malgré tous leurs efforts, ne sont jamais parvenus à se réapproprier ce fromage qui leur avait échappé avant même qu’ils ne s’en aperçoivent. « En l’absence de protection réglementaire, le camembert a conservé, partout dans le monde, son identification à la nation française. Ses multiples copies, hommages rendus au véritable camembert, ont eu la vertu d’entretenir le mythe. » [14]

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Emballage_camembert_de_Normandie_AOP_Isigny_Sainte-Mère

« Le décret créant une appellation d’origine viendra après la bataille, après que la plupart des producteurs aient succombé à l’offensive des fromageries industrielles. 1983, soixante-quatorze ans après sa première réunion, le Syndicat des fabricants du véritable camembert de Normandie (SFVCN), toujours vivant, mais réduit à la portion congrue, obtient enfin un décret fixant les règles de l’appellation d’origine contrôlée « camembert de Normandie » […] L’appellation d’origine impose quelques règles de fabrication, mais n’impose rien quant à l’origine et à la qualité du lait employé. Il suffit que le lait utilisé ait été collecté en Normandie […] Un label AOC et les mentions « camembert de Normandie » et « au lait cru, moulé à la louche » désignent au consommateur les produits qui ont satisfait à ces règles. » [15]

Quatrième de couverture

Le camembert est, par excellence, le fromage de la France, et la France, le pays du camembert!

Pourquoi ce fromage né au coeur du pays d’Auge est-il devenu le symbole de la France des terroirs? Produit local, comment s’est-il imposé comme le symbole de la France dans le monde entier?

La promotion du camembert date des années 1920… et c’est un Américain qui a lancé le culte de la fermière normande qui, dit-on, l’aurait inventé sous la Révolution française en tentant de faire du brie avec un moule à livarot. Comment le mythe est-il né?

Pierre Boissard a choisi de retourner aux sources pour nous raconter l’incroyable saga de cet emblème de la France profonde et des plaisirs de sa table. Il s’interroge: sous l’effet de la standardisation industrielle, va-t-il redevenir banal aliment?

Table des matières

Introduction. – L’Américain et le camembert 9
Chapitre 1. – Naissance d’un mythe 15
Chapitre 2. – Sous la légende, l’Histoire 39
Chapitre 3. – Naissance d’une industrie 60
Chapitre 4. – Secrets de fabrication 82
Chapitre 5. – Les métamorphoses du camembert 94
Chapitre 6. – Les syndicats des familles 115
Chapitre 7. – Le camembert du poilu 135
Chapitre 8. – Les dynasties du camembert 153
Chapitre 9. – La belle époque des fromageries 167
Chapitre 10. – Ouvriers de fromagerie 178
Chapitre 11. – Grandeur et décadence de l’ordre domestique 193
Chapitre 12. – La guerre de deux camemberts 208
Chapitre 13. – La vaine résistance des coopératives 227
Chapitre 14. – L’invention de la tradition 243
Chapitre 15. – De l’étiquette au tyrosème 254
Chapitre 16. – L’Amérique et le camembert 263
Chapitre 17. – Le camembert dans tous ses états. 276
Conclusion. – Permanence du mythe 287
Notes 293
Remerciements 301

Notes de bas de page

[1] p.253

[2] p.16

[3] p.38

[4] p.60

[5] p.72

[6] p.79

[7] p.94

[8] p.114

[9] p.152

[10] Idem. 

[11] p.208

[12] p.229

[13] p.253

[14] p.242

[15] p.240

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Hogmanay, aux origines de l’Écosse http://tenzo.fr/articles/article-hogmanay-aux-origines-de-lecosse/ Wed, 14 Oct 2015 16:35:36 +0000 http://tenzo.fr/?p=663
Hogmanay, un festival de fin d'année pour les touristes, un mélange des croyances pour les écossais. Mais d'où vient cette célébration et en quoi diffère-t-elle du traditionnel Noël britannique?
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Hogmanay, aux origines de l’Écosse

5 OCTOBRE 2015 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

La culture écossaise est le résultat d’un mélange des cultures. Depuis le IIe siècle, une succession (c)RobbieShade2009de peuples occupèrent les terres du Nord du Royaume-Uni. Leurs changements contribuèrent à la création d’une identité écossaise. Les croyances religieuses sont toujours présentes dans le quotidien de ce peuple, qu’elles soient chrétiennes ou païennes. Les repas de fêtes de fin d’année en Écosse illustrent ce mélange et traduisent un héritage culturel entretenu dans son entièreté.

 

Les premiers peuples occupant les terres écossaises furent les Pictes1, établis au Nord et à l’Est de l’Écosse jusqu’au Xe siècle. Le peuple Picte gouverné en royaume ne fut formé qu’à partir du VIIe siècle, les terres du Nord regroupant auparavant plusieurs tribus descendant des tribus indigènes de l’Age du Fer. Les croyances celtiques associaient pouvoir politique à la religion. Les croyances pictes pré-chrétiennes associaient nature et dieux. Peuple polythéiste, les pictes croyaient en un monde surnaturel mais également en la nature, chacun de ses éléments étant sacrés. Les fêtes annuelles étaient donc liées aux cycles agraires ainsi qu’à la fertilité.
En 563 le christianisme apparaît en Écosse avec Columba2 dans les terres d’Argyll. (c)Uniqofax2009Basé sur l’île d’Iona, Columba créa la première église ainsi que des habitations pour accueillir des moines. En 716, l’église tient une importance capitale dans l’établissement d’une seule royauté picte. Columba perd la lutte pour la suprématie de son église et l’église picte devient donc romaine, instaurant la Pâques catholique et la mise sous protection de Saint-Pierre. À partir du VIIIe siècle, les symboles pictes ont disparu face aux intérêts gaéliques des rois, mettant en avant la symbolique militaire afin d’asseoir leur pouvoir. Le langage picte disparaît vers 1130 et leur activité en va de même fin Xè.
L’identité écossaise naît avec la disparition des caractères pictes et l’apparition du nouveau nom pour le royaume de Pictland, Alba, regroupant les deux peuples pictes et gaels sous le nom d’Écossais. Leur identité reste à travers les Scots qui ont adopté certains aspects de la culture picte, et ce encore aujourd’hui malgré avoir été éradiqués à la suite de guerres contre les vikings et malgré les lois de l’église gaélique anti-picte contribuant à une destruction massive de manuscrits pictes.

 

Héritage d’un passé croisant différentes cultures, le peuple écossais célèbrent les fêtes chrétiennes tout en conservant des éléments d’autres croyances. Ainsi les célébrations ayant lieu à la fin de l’année ont elles plusieurs significations et divergent quelque peu dans leur tradition de celles de leurs voisins anglais.

 

Les fêtes de Noël et du Nouvel An apparaissent avant la Réformation protestante des XVIe et XVIIe siècles et suivent les traditions de l’Old Scotland3, célébrant Yuletide durant la douzième nuit du douzième mois de l’année; par la suite le nom de la fête devint Hogmanay4 et il s’agissait de célébrer la naissance du Christ tout en conservant le calendrier ancien jusqu’à la douzième nuit du douzième mois. Ces célébrations ont été bannies durant 400 ans jusqu’à leur réintroduction en 1950. Durant cette longue période protestante, seul le solstice d’hiver était célébré. Puis les deux célébrations chrétiennes et païennes ont été réunies, laissant place aujourd’hui à une longue période de célébrations en fin d’année.

 

Comme dans beaucoup de festivités religieuses, l’alimentation joue un rôle important et les changements d’autorité religieuse eurent un impact conséquent dans ce domaine. En effet durant la Réformation, la lutte contre tous signes de pratiques autres que chrétiennes était forte: vers 1583 les boulangers proposant des Yulebreads5 devaient dénoncer leurs clients aux autorités sous peine de devoir payer une amende. Après 1638 et le rétablissement de la monarchie, il était possible de célébrer Noël cependant l’Église restait inflexible sur ses lois, conservant des interdits. De fait les soldats avaient pour ordre d’arrêter toute personne ne suivant pas exclusivement les traditions chrétiennes: l’une de leur technique de repérage était notamment l’odeur d’épices dans l’alimentation de festivité (pains, gâteaux, boissons).

 

De nos jours les écossais continuent de pratiquer le mélange de traditions. La période des festivités débute au jour de la naissance du Christ jusqu’à la dernière nuit du douzième mois. Cette semaine se divise en quatre traditions: le nettoyage de la maison afin de faire partir le mauvais sort engrangé durant l’année passée. Certains brûleront des branches de genévrier pour enfumer la maison puis ouvrir toutes les fenêtres afin de chasser les mauvais esprits. La deuxième tradition est le First Footer: nom du premier visiteur d’une maison le jour de Noël (ou bien après minuit). Ce dernier doit apporter de la chance aux habitants à travers un Handsel, présent pouvant être de la nourriture, une boisson, du fuel ou du bois. Le handsel doit être partagé entre tous. Le fuel ou le bois doivent être utilisés immédiatement par le visiteur qui se doit de prononcer la phrase suivante “A Good New Year to one and all and many may you see”6.

 

Le repas traditionnel des fêtes de fin d’année peut suivre les traditions anglaises avec une dinde accompagnée de légumes (pommes de terre) et le traditionnel pudding en dessert. Toutefois le menu écossais a conservé des plats typiques tel que le ragoût de venaison (de la biche accompagnée de légumes et d’une sauce à la gelée de framboise). Un plat populaire chez les gens de bonne famille durant la période de Noël et le Nouvel An durant les XVIIIe et XIXe siècles.

 

Les desserts sont toutefois plus divers en Écosse, variant de région en région. On retrouve entre autre le Black Bun dont le nom à l’origine était “Twelfth Night Cake”7.

Freshly baked Scottish shortbread

Ce dessert remplace le “Sun Cake”, héritage du passé scandinave: le “Sun Cake” représentait le soleil, sa forme étant un disque doté d’un trou en son centre et des stries symétriques sur son pourtour représentaient les rayons du soleil. Ce motif est d’ailleurs souvent repris sur les “Shortbreads” (motifs de nos jours confondus avec des parts prédécoupées).
La recette originale du Black Bun est riche et comprend des fruits secs ou des fruits confits selon les goûts, des épices, le tout arrosé de whisky et devant être placé dans un moule hermétique. Ce gâteau doit être réalisé quelques semaines avant le Nouvel An afin d’être bien imprégné des différentes saveurs.

 

Le Dundee Cake est une alternative populaire au gâteau de Noël dans tout le Royaume-Uni mais à l’origine il s’agit du gâteau de Noël propre à la région de Dundee. Datant du XIXe siècle, ce dessert a été produit en masse par l’entreprise Keiller’s8. Il existe néanmoins une légende dont l’origine remonterait à la reine Marie Stuart d’Écosse9 qui, n’aimant pas les cerises, fit changer ces dernières par des fruits confits.

 

Le Shortbread (également nommé Bannock) est un biscuit en l’honneur du soleil, comme expliqué précédemment. Le nom de Bannock est un terme ancien servant à décrire une pâte (à l’origine, des restes de pâte à pain) cuite dans un large moule rond et plat, et dont la texture après cuisson se rapproche davantage du biscuit que du gâteau. Les premières traces de ce biscuit remontent au XIIe siècle, consommation liée à la tradition du gâteau de Yule; il prit son essor sous la reine Marie Stuart au XVIe siècle. Biscuit riche à base de farine, beurre et sucre (parfois épices), il est considéré comme un produit de luxe et est consommé uniquement pour les fêtes de fin d’année et les mariages.
Le Shortbread est un marqueur important de la culture écossaise à tel point qu’il a sa journée nationale, le 6 janvier.

 

Les traditions écossaises pour les fêtes de fin d’années marquent donc clairement une volonté de mélange des cultures et une forte notion d’héritage préservé, quelles que soient les conséquences de l’Histoire. L’alimentation durant ces périodes définit non seulement une pluralité des identités écossaises mais également l’évolution des valeurs et croyances d’un peuple. Un renouveau ou bien une renaissance des vies présentes est distinctement appelée à la fin de chaque année tout en conservant les traditions du passé, ce qui montre le fondement d’une culture basé sur plusieurs influences et non créé sur des idéologies.

Bibliographie

∴ Donnachie Ian, Hewitt George.R, A companion to Scottish History from the Reformation to the Present, Batsford Ltd, 1991
∴ Fairlie Margaret, Traditional Scottish cookery, Robert Hale, London, 2010
∴ MacDonald Mary, Scottish shortbread, Hamlyn, Londres, 1995, 60 p.
∴ Macdonald of Macdonald Claire Baroness, Claire Macdonald’s Scotland: the best of Scottish food and drink, Boston : Little, Brown and Company, c1990
∴ Skene W.F, Chronicles of the Picts, chronicles of the Scots: and other early memorials of Scottish history, Edinburgh: H.M. General register house, 1867
∴ W.R.Powell, « West Ham: Industries ». A History of the County of Essex: Volume 6 (1973). pp. 76–89.
∴ Wall Joseph Frazier, Andrew Carnegie’s Hogmanay, or a child’s New Year in Calvinist
∴ Scotland, New York: Oxford University Press, 1970

Notes de bas de page

1Pictes: confédération de tribus brittoniques vivant dans le Nord et l’Est de l’Écosse.

2Columba: missionnaire irlandais introduisant le christianisme en Écosse.

3Old Scotland : terme désignant l’écosse avant le christianisme.

4Hogmanay: terme apparaissant durant l’Auld Alliance, il provient du français “Homme est né”.

5Yulebread: pain au levain ou à la farine de seigle préparé durant la période de Noël. Chaque membre de la famille recevait un Yulebread; celui qui y trouvait un petit présent aurait une année heureuse.

6A guid New Year to ane an’ a’ and mony may ye see: une bonne année à tous et chacun et que vous en voyez beaucoup d’autres.

7Gâteau de la douzième nuit.

8Keiller’s: entreprise fabriquant de la marmelade, première marque de marmelade originaire de la région de Dundee en Écosse.

9Marie Stuart (1542-1587): reine d’Écosse à la mort de son père Jacques V d’Écosse et épouse du roi de France François II.

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