buffet de gare – Tenzo Le Gastrocéphale http://tenzo.fr Sciences de l'alimentation Sun, 12 Jun 2016 08:01:52 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.5.1 Wymondham railway station http://tenzo.fr/articles/wymondham-railway-station/ http://tenzo.fr/articles/wymondham-railway-station/#respond Sun, 12 Jun 2016 08:01:52 +0000 http://tenzo.fr/?p=2103
Un morceau du patrimoine ferroviaire anglais à nouveau en activité.
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Wymondham railway station

12 JUIN 2016 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

 

Pour ce dernier article avant l’été, continuons dans notre tour du monde gastronomique et historique en train. Cette semaine nous vous invitons au Royaume-Uni sur les traces d’une ancienne gare restaurée, Wymondham railway station.

 

Durant la Révolution Industrielle, le Royaume-Uni a développé son circuit ferroviaire considérablement, permettant aux centres économiques majeurs d’être connectés entre eux, tout en sortant de l’isolement villages et villes à population moyenne. Cette expansion sur le territoire permit la circulation des personnes, des marchandises, ce qui contribua à relancer le tourisme et le commerce, tout en créant de l’emploi. Les années prospères virent une accélération du niveau de vie à tous les niveaux sociaux et le voyage faisait désormais partie du quotidien.

 

Par conséquent les gares ferroviaires se devaient de proposer à leurs voyageurs des services tels qu’un lieu d’attente, l’hébergement avec la construction d’hôtels attenant à la gare dans le cas des grandes villes, par exemple Edimbourg et le North British Hotel (désormais Balmoral Hotel)1 construit en 1902, des divertissements avec des kiosques à journaux et le restaurant/tea-room, parfois simple buffet ou vente à emporter.

 

Restaurant du North British Hotel, 1930, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HO_83, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Restaurant du North British Hotel, 1930, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HO_83, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Ces lieux de sustentation étaient fréquents dans les grandes gares. Ainsi Waverley station à Edimbourg proposait au menu de son buffet un service rapide à emporter comprenant des repas légers et sandwichs, soupes et gâteaux accompagnés d’une boisson; on pouvait également avoir un repas complet avec un service à la table dans le restaurant de la gare, et un service de haute gamme dans le restaurant de l’hôtel destiné à une clientèle aisée.

 

À échelle inférieure, les gares de villages offraient, lorsqu’elles le pouvaient, un salon de thé attenant à la salle d’attente, voire un restaurant, bien loin des fastes de grandes villes. La gare de Wymondham2 dans le Norfolk illustre parfaitement les effets des développements technologiques et industriels sur la population britannique. À l’instar de ses villes voisines, Wymondham a connu son heure de gloire à l’arrivée du chemin de fer. La gare employait près de cinquante personnes officiant dans divers départements tels que guichetier, agent de signalement, serveur, conducteur de train. De part sa localisation sur le circuit ferroviaire, la ville était devenue un incontournable pour les entreprises qui voyaient là un centre d’exportation de leurs produits à échelle nationale, et donc une raison de s’y implanter. Wymondham participa également à aider durant la Seconde Guerre Mondiale de part sa localisation.

 

Comptoir du buffet de Waverley, 1947, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HR_105, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Comptoir du buffet de Waverley, 1947, Edimbourg. Réf.1995-7233_LIVST_HR_105, collection Liverpool Street photos; National Railway Museum, York.

Cependant dès 1945 le développement et la démocratisation de l’automobile annoncèrent la fin de la prospérité du chemin de fer et ses gares, fléau qui toucha le pays durant vingt longues années. En 1969, seules les cargaisons de fret voyageaient sur la ligne Wymondham-Forncett, puis elle fut définitivement fermée en 1989. La ligne reliant la Wymondham à Londres est restée active. Les conséquences pour la gare de Wymondham furent telles qu’en 1967, tous les employés hormis l’agent de signalement, furent licenciés, la gare n’étant plus qu’une gare d’arrêt. La gare fut laissée à l’abandon, n’ayant plus de personnel.

 

À la fin des années 1980, David Turner, entrepreneur local, décida de racheter le bâtiment à la compagnie British Rail afin de le restaurer. En 1989, la gare ouvrit à nouveau, composée d’un salon de thé et restaurant, d’un magasin de pianos, le tout décoré avec des objets de gare de 1845 collectionnés par le propriétaire.

 

Restaurant Brief Encounter, Wymondham, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

Restaurant Brief Encounter, Wymondham, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

L’endroit propose aux voyageurs et autres personnes de passage dans son établissement un restaurant-buffet composé de café et petit-déjeuner pour le voyageur matinal, de déjeuner cuisiné sur place à base de produits locaux, et d’un thé gourmand l’après-midi.
Turner choisit le thème du film Brève Rencontre de Noël Coward (1945), ironique pour une gare dite “de passage” mais souhaitant certainement voir les rencontres entre passagers durer plus longuement.

 

Un pari réussi puisque depuis son ouverture, Brief Encounter (devenu Station Bistro) fût récompensé au niveau national pour sa table et son espace commercial. La gare fût également nominée pour le prix de meilleur buffet de gare. Au-delà de prix nationaux, Wymondham station retrouva ses lettres de noblesse grâce aux nombreuses visites de personnalités britanniques et internationales, suscitant un intérêt général pour la ville et son “attraction”.

 

Faites-y un saut cet été, replongez-vous dans l’Histoire le temps d’un passage gourmand.

1. http://www.networkrail.co.uk/edinburgh-waverley-station/history/

2. Wymondham: bourgade historique dans le comté du Norfolk, Royaume-Uni.

Bibliographie

 

∴Biddle, Gordon, The railway heritage of Britain: 150 years of railway architecture and engineering, Studio editions, 1990.

 

∴Wills, Dixie, Ten of the best railway cafes, the Guardian, 12 Mai 2009, [en ligne] http://www.theguardian.com/travel/2009/may/12/railway-station-cafes-uk-food, consulté le 11 Août 2013.

 

∴Wymondham Station History, extrait du documentaire the Story of Wymondham Historic Railway Station, Wymondham Heritage Society, 1992.

 

∴Wymondham’s Brief Encounter Restaurant, Tales from the Country, ITV, diffusé le 12 Avril 2008.

 

∴Correspondance avec David Turner, Août 2013.
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Les restaurants de Fred Harvey et la conquête de l’Ouest aux États-Unis http://tenzo.fr/articles/les-restaurants-de-fred-harvey-et-la-conquete-de-louest-aux-etats-unis/ http://tenzo.fr/articles/les-restaurants-de-fred-harvey-et-la-conquete-de-louest-aux-etats-unis/#respond Sun, 29 May 2016 08:00:28 +0000 http://tenzo.fr/?p=2075
Au XIXe siècle, la qualité de la nourriture disponible dans pratiquement tous les « restaurants » à l’ouest du Mississippi était particulièrement mauvaise. Le très faible niveau d’infrastructures rendait extrêmement difficiles la production, le transport et la conservation des denrées. Il était, par contre, communément admis qu’un endroit dans chaque ville se distinguait en servant des aliments encore pires qu’ailleurs, il s’agissait des gargotes de chemin de fer !
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Les restaurants de Fred Harvey et la conquête de l’Ouest aux États-Unis.

29 MAI 2016 | PAR DAVID LAFLAMME

La Castaneda Fred Harvey Hotel, Las Vegas, bâti en 1898

La première ligne de chemin de fer transcontinentale à avoir été achevée aux États-Unis est la Union Pacific-Central Pacific. Cette route reliait Omaha à Sacramento. Elle fut achevée à Promontory Point en Utah en mai 1869. C’est aussi en 1869 que la Santa Fe Railroad Company (S.F.R.C) mis en service son premier segment de rail allant vers l’Ouest depuis Topeka. À la fin de l’année 1872, ce segment s’étirait jusqu’à la frontière de l’État du Colorado et en 1878, il atteignait Albuquerque au Nouveau-Mexique. [1]

Réseau de la Santa Fe en 1891

À cette époque, la qualité de la nourriture disponible dans pratiquement tous les « restaurants » à l’ouest du Mississippi était particulièrement mauvaise. Le très faible niveau d’infrastructures rendait extrêmement difficiles la production, le transport et la conservation des denrées. Il était, par contre, communément admis qu’un endroit dans chaque ville se distinguait en servant des aliments encore pires qu’ailleurs, il s’agissait des gargotes de chemin de fer ! [2]

Même en prenant en compte que le chemin de fer réduisait le temps requis pour les déplacements, l’alimentation lors des voyages en train n’en restait pas moins un casse-tête pour les voyageurs. À chaque cent miles parcouru (161 km), les trains devaient s’arrêter une vingtaine de minutes dans des tank towns pour y remplir leurs réserves d’eau. [3] Des gargotes étaient donc aménagées dans certains de ces points d’arrêt. De manière générale, les compagnies de chemin de fer tentaient de s’impliquer le moins possible dans tout ce qui concernait l’alimentation des passagers considérant que ce « problème » n’était pas de leur ressort. Ils se contentaient le plus souvent, de louer des emplacements en gare à des entrepreneurs locaux. Or, dans la grande majorité des cas, ces entrepreneurs n’avaient ni les ingrédients, ni les compétences, ni l’équipement pour produire des repas de qualité. [4]

cohue

Le folklore américain regorge d’histoire de viande grise et mystérieuse ou d’aliments frits non identifiables consommés à l’occasion de voyages en train dans le Grand Ouest. On y parle aussi de prix exorbitants et de cohues générales dans des établissements souvent trop petits pour permettre à tous d’accéder durant la courte vingtaine de minutes d’arrêt à une pitance. [5]

C’est à cette époque que Fred Harvey rencontra Charles Morse, le surintendant de la S.F.R.C et Thomas Nickerson son président pour leur présenter sa vision de la restauration en gare. Harvey leur proposa de miser sur un service restauration en gare de qualité pour encourager les voyageurs à privilégier leur réseau ferré. Au printemps 1876, la S.F.R.C fermait le service de restauration de la gare de Topeka pour le rénover et le réaménager de fond en comble selon les critères de Fred Harvey. Le nouveau restaurant fut une réussite et Harvey se fit offrir la gestion d’un deuxième établissement à Florence au Kansas en 1878. [6] La S.F.R.C demeurait propriétaire des terrains et des bâtiments tandis que Harvey agissait à titre de sous-traitant responsable des services de restauration et d’hôtellerie. Les employés de la compagnie de chemin de fer recevaient quant à eux, des tickets (Pie cards) à échanger contre des repas et de l’hébergement gratuit ou à prix réduit (Harvey a-t-il inventé le ticket resto ?). [7]

C’est à Florence que les exigences qualitatives qui firent la renommée des Fred Harvey Houses furent mises en place en partenariat avec le célèbre chef William H. Phillips. Avant de travailler pour Fred Harvey, Phillips était surtout connu pour être à l’homme à la tête des cuisines de la Palmer House de Chicago. L’entrepreneur lui offrit en échange de la prise de poste à Florence, un salaire qui fit de Phillips l’homme le mieux payé de la ville. La coopération entre les deux hommes mena à la mise en place de standards d’hygiène et de qualité qui furent repris dans l’ensemble des restaurants de Fred Harvey.

Le menu fut complètement repensé par Phillips. Ce dernier décida d’appliquer des recettes et des techniques européennes à des produits issus de la chasse, de l’agriculture et de la pêche des régions que parcourait la S.F.R.C. Le chef fit savoir qu’il était prêt à payer un très bon prix aux chasseurs, pêcheurs et fermiers locaux en échange de leurs meilleurs produits. [8]

Menu à 75 cents d'un restaurant de Fred Harvey (1888)

Jusqu’au début des années 1880, le prix unique dans un établissement de Fred Harvey était de 50 cents. Il s’agissait d’un prix relativement élevé, mais la qualité et la quantité des repas étaient suffisantes pour que la grande majorité des clients soit satisfaite du rapport qualité/prix. Sept années après l’ouverture du premier établissement de Fred Harvey, son réseau comptait déjà 17 restaurants de gare le long des rails de la Santa Fe. [9]

L’entrepreneur fit également mettre en place un système de wagons réfrigérés « express » intégrés dans les trains de passagers (plus rapide que les trains de freight). Ainsi, lorsque les trains s’arrêtaient pour remplir leurs réservoirs d’eau, les employés des Harvey houses déchargeaient ce que leur établissement avait commandé et chargeaient ce qui était disponible dans leur localité et que d’autres Harvey Houses avaient réclamées. [10] Malgré la mise en place du réseau de restauration en gare, le temps de pause des trains aux stations n’a pas été allongé pour permettre aux clients de manger plus à leurs aises. Ainsi, pour faciliter la restauration des passagers, ces derniers spécifiaient à l’équipage du train ce qu’ils désiraient manger. Leurs commandes étaient laissées dans un relais télégraphique et transmises à l’avance au restaurant qui s’assurait que les voyageurs puissent commencer à manger dès leur arrivée à table (Harvey a-t-il inventé la commande à distance ?). [11]

La Santa Fe avait vu juste en misant sur un réseau de restauration de bonne qualité. Beaucoup déclaraient choisir intentionnellement de voyager dans leurs trains pour profiter des Harvey Houses durant leur déplacement. Quant à lui, Fred Harvey parvint à maintenir une marge de profit considérable malgré des prix raisonnables, l’emploi d’ingrédients de qualité et le service de portions généreuses. La raison de cette rentabilité est que la Santa Fe ne lui faisait pas payer de loyer pour ses établissements et lui fournissait gratuitement le charbon, l’eau, la glace ainsi que le transport de ses employés. Le modèle de restauration en Gare qu’établit Fred Harvey perdura jusque dans la première moitié du XXe siècle, période à partir de laquelle il sera graduellement supplanté par les voitures-restaurants. [12]

À la fin des années 1930, le chemin de fer entra en perte de vitesse. La crise économique encourageait les gens à suspendre leurs voyages ou à préférer des moyens de transport moins couteux tels que les autobus. [13] Bon nombre de restaurants de Fred Harvey vont tout de même réussir à retrouver la rentabilité pour plus d’une vingtaine d’années en profitant du regain économique qu’apporte la guerre. Notamment via le grand nombre de soldats qui se déplaceront en train. [14] Après la guerre, malgré la baisse du nombre de voyageurs ferroviaire, plusieurs restaurants demeurent assez populaires auprès de locaux. Ces établissements profitent aussi d’une certaine nostalgie populaire des années 1890 associée au film de 1946, The Harvey Girls, mais cela ne suffira pas à freiner le déclin des Fred Harvey Houses qui furent presque toutes fermées au courant des années 1960. [15]

[1]  FOSTER G. H., Peter C. Weiglin, The Harvey House Cookbook: Memories of Dining Along the Santa Fe Railway, Taylor Trade Publications, 10 mars 2006. P.2

[2] MELZER R., Fred Harvey Houses of the Southwest, Mount Pleasant, SC., Arcadia Publishing, 2008. P.7

[3]  Foster G. H., Op. Cit. p.2

[4]  Foster G. H., Op. Cit. p.23

[5]  Ibidem.

[6]  Fried S., Op. Cit. Ref.146

[7]  Foster G. H., Op. Cit. p.25

[8]  Fried S., Op. Cit. Ref.169

[9]  Foster G. H., Op. Cit. p.25

[10] Foster G. H., Idem. p.38

[11] Foster G. H., Idem. p.35

[12] Foster G. H., Idem. p.25

[13] Fried S., Op. Cit. Ref.901

[14]  Fried S., Idem. Ref.921

[15]  Fried S., Op. Cit. Ref.928

Bibliographie

∴ BERKE A., Mary Colter, Architect of the Southwest, Princeton, Princeton Architectural Press, 2002
∴ FOSTER G.H., WEIGLIN P.C., The Harvey House Cookbook: Memories of Dining
Along the Santa Fe Railway, Lanham, Taylor Trade Publications, 2006
∴ FRIED S., Appetite for America: Fred Harvey and the Business of Civilizing the Wild West One Meal at a Time (New-York, Random House, 2011), Édition Kindle.
∴ MELZER R., Fred Harvey Houses of the Southwest, Mount Pleasant, SC., Arcadia Publishing, 2008
∴  Harvey House Menu : http://pinterest.com/QuestionableAdv/harvey-house-menus-1957/
∴ Los Angeles Conservancy : http://www.laconservancy.org/index.php
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« Food on the Move » (01/05) La symbolique du manger en route http://tenzo.fr/articles/food-on-the-move-ep-0105-ou-la-symbolique-du-manger-en-route/ http://tenzo.fr/articles/food-on-the-move-ep-0105-ou-la-symbolique-du-manger-en-route/#respond Sun, 24 Jan 2016 09:25:30 +0000 http://tenzo.fr/?p=1490
L’éloignement entre domicile et lieu de travail soulève inévitablement deux questions pratiques et liées entre elles : d’une part celle du moyen de transport, d’autre part celle du boire et manger. Il en va de même des trajets plus longs, tels que ceux nécessaires pour atteindre des destinations touristiques. Ce premier épisode, centré sur l’Europe, est consacré à cette alimentation voyageuse et particulière qui rythme les aventures saisonnières.
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« Food on the Move » (ép. 01/05) La symbolique du manger en route

24 JANVIER 2015 | PAR GAELLE VAN INGELGEM

Food on the Move_Buffet de Gare_Pastiels

L’éloignement entre domicile et lieu de travail soulève inévitablement deux questions pratiques et liées entre elles : d’une part celle du moyen de transport, d’autre part celle du boire et manger. Il en va de même des trajets plus longs, tels que ceux nécessaires pour atteindre des destinations touristiques. Ces préoccupations sont universelles. Elles touchent toutes les populations, indépendamment des lieux ou des périodes historiques concernées. Mais surtout, elles ne sont pas aussi ponctuelles qu’elles n’y paraissent.

En voyage, éloigné de nos habitudes rassurantes, nos maniérismes deviennent pressants. On s’y confronte aux autres… et donc à nous mêmes, le regard de l’Autre participant à la redéfinission de soi.[1] Ce sont à ces habitudes alimentaires que nous allons nous frotter dans cette série décomposée en 5 épisodes, le tout formant un sujet riche d’enseignement sur des pratiques qui, loin d’être anodines et utilitaires, seront envisagées comme de véritables emblèmes symboliques et culturels.

Ce premier épisode, centré sur l’Europe, est consacré à cette alimentation voyageuse et particulière qui rythme les aventures saisonnières.

Au temps des auberges

Des voyageurs britanniques du Grand Tour aux touristes à la réputation douteuse des années 50, en passant par les excursionnistes alpins de la fin du XIXe siècle, tous ont pour point commun d’avoir dû envisager leurs options de ravitaillement lors de la planification de leur voyage.

À l’époque des trajets en diligence, les passages fréquents et arrêts forcés dans des relais de poste facilitaient la prise alimentaire. En effet, de nombreuses auberges s’étaient établies le long de ces routes sinueuses afin de ravitailler et offrir un lit aux voyageurs exténués.

Avec l’arrivée du chemin de fer, cette force de cohésion entre paysage et mobilité fut légèrement brouillée. Car si les rails étaient comme les routes d’autrefois ponctuées par des stations d’arrêt et temps de pause, ces infrastructures étaient aménagées pour ravitailler en charbon la locomotive et veiller au bon entretien du train, plus que pour sustenter et accueillir les passagers. Fort heureusement, la brièveté des temps de parcours des toutes premières lignes qui ne desservaient qu’un territoire très limité, ne laissait pas l’occasion aux ventres de crier famine.

Le wagon, la gare et le panier-repas

Toutefois, la donne changea rapidement. Dès le milieu du XIXe siècle, le nombre de lignes se mit à exploser dans tous les pays munis d’infrastructures ferroviaires avancées, que ce soit en France, en Belgique ou en Angleterre. Dès lors que les temps de parcours s’allongèrent, il a fallu trouver des solutions adéquates afin de ne pas mourir de faim. Rappelons tout de même qu’à cette époque, 24 heures d’avance étaient nécessaires pour espérer rejoindre Nice depuis Paris !

C’est alors que certaines lignes de chemins de fer se mirent à proposer des paniers-repas, afin de sustenter les voyageurs pendant leur périple. À partir des années 1880, des wagons-restaurants furent installés dans les trains par la Compagnie Internationale des Wagons Lits, créée à la même époque par Georges Nagelmackers. Ces services de restaurations à bord étaient similaires dans la plupart des trains circulant sur le territoire européen. Réservées à une certaine élite, du moins au départ, ces installations alimentaient notamment le trajet de l’Orient-Express.[2] Ils faisaient alors partie intégrante de l’expérience du voyage.

Intérieur d'un wagon-restaurant de l'Orient-Express

Pour les moins fortunés, le pique-nique était de mise, tout comme l’achat de nourriture auprès de vendeurs ambulants, proposant des mets sur les quais ou aux fenêtres des passagers affamés, qui n’avaient qu’à tendre le bras pour les attraper. L’image que Maupassant nous laisse d’un Boule de Suif déballant son casse-croûte dans une diligence peuplée d’inconnus peut sans difficulté se transposer à l’ambiance du compartiment de train, où le partage et la satisfaction devaient se mêler au désagrément du bruit et des odeurs issues de la malle des autres passagers. Cette intimité forcée est aussi celle de la confrontation avec l’altérité alimentaire, intrigante autant que rebutante.

Au calme et à la tranquillité du wagon contraste l’affairement de l’arrivée en gare. La caricature d’Honoré Daumier de 1852 intitulée « voyageurs affamés se précipitant vers le buffet d’une station » résume bien l’ambiance qui devait régner dans les premiers buffets de gare.

Honoré Daumier, "Voyageurs affamés se précipitant vers le buffet d'une station", 1852

“Le temps de sauter du train, d’avaler une chope et un beefsteack dans le premier restaurant, de pousser une tête dans les temples et les musées, de revenir à la gare pour reprendre le train suivant, et de recommencer à la ville prochaine la même tournée expéditive. On peut, grâce à ce procédé, toucher terre dans cent villes diverses, en moins de deux minutes. Ces voyageurs n’ont qu’une pensée: ne pas manquer le train.”[3]

Ce passage d’un guide du Touring Club de Belgique datant de la fin du XIXe siècle, illustre la mauvaise réputation qui entoure la pratique touristique effectuée par voie de chemins de fer. Ce rejet est lié à la soi-disant impossibilité offerte par le train de découvrir le patrimoine culturel des régions visitées, mais aussi leur patrimoine alimentaire. Rien de plus uniformisé qu’une chope et un beefsteack. C’était sans compter sur la volonté des tenanciers des établissements de restauration établis dans les gares – et aux alentours – de s’emparer d’un marché à haut potentiel: celui de la vente de produits alimentaires locaux, à laquelle le prochain épisode sera consacré.

Entre fast-foods et produits du terroir

Si aujourd’hui, la réduction généralisée des temps de trajet lors de nos déplacements, autant que la diffusion des chaines de restauration rapide ou les épiceries de nuit facilitent considérablement l’organisation de nos mouvements, certaines considérations demeurent. Que ce soit au quotidien, lors de trajets relativement brefs, comme en période de vacances, certaines variables continuent à titiller nos choix en matière alimentaire.

Il en va-t-ainsi du souci financier. Le prix des denrées proposées en gare, sur les aires d’autoroute ou dans les avions des compagnies low-cost peut servir de repoussoir pour certains consommateurs, préférant contourner ces dépenses jugées superflues dans le budget saisonnier. C’est alors que le traditionnel casse-croûte, préparé minutieusement à l’avance, vient rythmer le trajet des vacanciers.[4] Qui n’a pas le souvenir d’un repas englouti à la sauvette, attablé sur un banc en bordure de voie rapide, ou dans le compartiment familial d’un T.G.V., en partance pour le Midi. Les odeurs d’œufs durs légèrement trop cuits se mêlant à celles de la salade de riz ou du fameux taboulé sont pour certains comme une invitation au voyage… ou au souvenir.

Vient ensuite le sens de la responsabilité, lié à des considérations écologiques ou sanitaires. Difficile de « craquer » pour un fast-food en période festive, alors que beaucoup s’efforcent toute l’année d’éloigner leurs enfants de ces nourritures jugées néfastes pour l’environnement comme pour la santé. Finalement, l’explosion des allergies et intolérances alimentaires constitue un facteur important de prise de précaution lorsqu’il s’agit de planifier son départ. Les magasins spécialisés en produits bio ou sans gluten ne pullulent pas (encore) dans les aires de transits.

Mais surtout, la question de la diversité alimentaire continue à se poser lors de nos déplacements. Cette peur de l’inconnue – certes moins pressante à l’heure de l’uniformisation des modes de consommation – est aujourd’hui, plus que jamais, jugulée par une quête effrénée de découverte des particularismes alimentaires typiques, locaux et de préférence artisanaux.[5]

Section 1

[1] Massimo Montanari, Il cibo come cultura, Roma/Bari, Laterza, 2008 (2004).

[2] Eve-Marie Zizza-Lalu, Au bon temps des wagons-restaurants, Paris, La vie du Rail, 2012.

[3] Annuaire du Touring Club de Belgique, 1886.

[4] Julia Csergo (dir.), Casse-croûte. Aliments portatifs, repas indéfinissables, Paris, Autrement, 2001.

[5] Peter Jackson, « Local consumption cultures in a globalizing world », Transaction of the institute of British geographers, New series, vol. 29, Juin 2004, pp. 165-178.

 

 

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