Hogmanay, aux origines de l’Écosse

5 OCTOBRE 2015 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

La culture écossaise est le résultat d’un mélange des cultures. Depuis le IIe siècle, une succession (c)RobbieShade2009de peuples occupèrent les terres du Nord du Royaume-Uni. Leurs changements contribuèrent à la création d’une identité écossaise. Les croyances religieuses sont toujours présentes dans le quotidien de ce peuple, qu’elles soient chrétiennes ou païennes. Les repas de fêtes de fin d’année en Écosse illustrent ce mélange et traduisent un héritage culturel entretenu dans son entièreté.

 

Les premiers peuples occupant les terres écossaises furent les Pictes1, établis au Nord et à l’Est de l’Écosse jusqu’au Xe siècle. Le peuple Picte gouverné en royaume ne fut formé qu’à partir du VIIe siècle, les terres du Nord regroupant auparavant plusieurs tribus descendant des tribus indigènes de l’Age du Fer. Les croyances celtiques associaient pouvoir politique à la religion. Les croyances pictes pré-chrétiennes associaient nature et dieux. Peuple polythéiste, les pictes croyaient en un monde surnaturel mais également en la nature, chacun de ses éléments étant sacrés. Les fêtes annuelles étaient donc liées aux cycles agraires ainsi qu’à la fertilité.
En 563 le christianisme apparaît en Écosse avec Columba2 dans les terres d’Argyll. (c)Uniqofax2009Basé sur l’île d’Iona, Columba créa la première église ainsi que des habitations pour accueillir des moines. En 716, l’église tient une importance capitale dans l’établissement d’une seule royauté picte. Columba perd la lutte pour la suprématie de son église et l’église picte devient donc romaine, instaurant la Pâques catholique et la mise sous protection de Saint-Pierre. À partir du VIIIe siècle, les symboles pictes ont disparu face aux intérêts gaéliques des rois, mettant en avant la symbolique militaire afin d’asseoir leur pouvoir. Le langage picte disparaît vers 1130 et leur activité en va de même fin Xè.
L’identité écossaise naît avec la disparition des caractères pictes et l’apparition du nouveau nom pour le royaume de Pictland, Alba, regroupant les deux peuples pictes et gaels sous le nom d’Écossais. Leur identité reste à travers les Scots qui ont adopté certains aspects de la culture picte, et ce encore aujourd’hui malgré avoir été éradiqués à la suite de guerres contre les vikings et malgré les lois de l’église gaélique anti-picte contribuant à une destruction massive de manuscrits pictes.

 

Héritage d’un passé croisant différentes cultures, le peuple écossais célèbrent les fêtes chrétiennes tout en conservant des éléments d’autres croyances. Ainsi les célébrations ayant lieu à la fin de l’année ont elles plusieurs significations et divergent quelque peu dans leur tradition de celles de leurs voisins anglais.

 

Les fêtes de Noël et du Nouvel An apparaissent avant la Réformation protestante des XVIe et XVIIe siècles et suivent les traditions de l’Old Scotland3, célébrant Yuletide durant la douzième nuit du douzième mois de l’année; par la suite le nom de la fête devint Hogmanay4 et il s’agissait de célébrer la naissance du Christ tout en conservant le calendrier ancien jusqu’à la douzième nuit du douzième mois. Ces célébrations ont été bannies durant 400 ans jusqu’à leur réintroduction en 1950. Durant cette longue période protestante, seul le solstice d’hiver était célébré. Puis les deux célébrations chrétiennes et païennes ont été réunies, laissant place aujourd’hui à une longue période de célébrations en fin d’année.

 

Comme dans beaucoup de festivités religieuses, l’alimentation joue un rôle important et les changements d’autorité religieuse eurent un impact conséquent dans ce domaine. En effet durant la Réformation, la lutte contre tous signes de pratiques autres que chrétiennes était forte: vers 1583 les boulangers proposant des Yulebreads5 devaient dénoncer leurs clients aux autorités sous peine de devoir payer une amende. Après 1638 et le rétablissement de la monarchie, il était possible de célébrer Noël cependant l’Église restait inflexible sur ses lois, conservant des interdits. De fait les soldats avaient pour ordre d’arrêter toute personne ne suivant pas exclusivement les traditions chrétiennes: l’une de leur technique de repérage était notamment l’odeur d’épices dans l’alimentation de festivité (pains, gâteaux, boissons).

 

De nos jours les écossais continuent de pratiquer le mélange de traditions. La période des festivités débute au jour de la naissance du Christ jusqu’à la dernière nuit du douzième mois. Cette semaine se divise en quatre traditions: le nettoyage de la maison afin de faire partir le mauvais sort engrangé durant l’année passée. Certains brûleront des branches de genévrier pour enfumer la maison puis ouvrir toutes les fenêtres afin de chasser les mauvais esprits. La deuxième tradition est le First Footer: nom du premier visiteur d’une maison le jour de Noël (ou bien après minuit). Ce dernier doit apporter de la chance aux habitants à travers un Handsel, présent pouvant être de la nourriture, une boisson, du fuel ou du bois. Le handsel doit être partagé entre tous. Le fuel ou le bois doivent être utilisés immédiatement par le visiteur qui se doit de prononcer la phrase suivante “A Good New Year to one and all and many may you see”6.

 

Le repas traditionnel des fêtes de fin d’année peut suivre les traditions anglaises avec une dinde accompagnée de légumes (pommes de terre) et le traditionnel pudding en dessert. Toutefois le menu écossais a conservé des plats typiques tel que le ragoût de venaison (de la biche accompagnée de légumes et d’une sauce à la gelée de framboise). Un plat populaire chez les gens de bonne famille durant la période de Noël et le Nouvel An durant les XVIIIe et XIXe siècles.

 

Les desserts sont toutefois plus divers en Écosse, variant de région en région. On retrouve entre autre le Black Bun dont le nom à l’origine était “Twelfth Night Cake”7.

Freshly baked Scottish shortbread

Ce dessert remplace le “Sun Cake”, héritage du passé scandinave: le “Sun Cake” représentait le soleil, sa forme étant un disque doté d’un trou en son centre et des stries symétriques sur son pourtour représentaient les rayons du soleil. Ce motif est d’ailleurs souvent repris sur les “Shortbreads” (motifs de nos jours confondus avec des parts prédécoupées).
La recette originale du Black Bun est riche et comprend des fruits secs ou des fruits confits selon les goûts, des épices, le tout arrosé de whisky et devant être placé dans un moule hermétique. Ce gâteau doit être réalisé quelques semaines avant le Nouvel An afin d’être bien imprégné des différentes saveurs.

 

Le Dundee Cake est une alternative populaire au gâteau de Noël dans tout le Royaume-Uni mais à l’origine il s’agit du gâteau de Noël propre à la région de Dundee. Datant du XIXe siècle, ce dessert a été produit en masse par l’entreprise Keiller’s8. Il existe néanmoins une légende dont l’origine remonterait à la reine Marie Stuart d’Écosse9 qui, n’aimant pas les cerises, fit changer ces dernières par des fruits confits.

 

Le Shortbread (également nommé Bannock) est un biscuit en l’honneur du soleil, comme expliqué précédemment. Le nom de Bannock est un terme ancien servant à décrire une pâte (à l’origine, des restes de pâte à pain) cuite dans un large moule rond et plat, et dont la texture après cuisson se rapproche davantage du biscuit que du gâteau. Les premières traces de ce biscuit remontent au XIIe siècle, consommation liée à la tradition du gâteau de Yule; il prit son essor sous la reine Marie Stuart au XVIe siècle. Biscuit riche à base de farine, beurre et sucre (parfois épices), il est considéré comme un produit de luxe et est consommé uniquement pour les fêtes de fin d’année et les mariages.
Le Shortbread est un marqueur important de la culture écossaise à tel point qu’il a sa journée nationale, le 6 janvier.

 

Les traditions écossaises pour les fêtes de fin d’années marquent donc clairement une volonté de mélange des cultures et une forte notion d’héritage préservé, quelles que soient les conséquences de l’Histoire. L’alimentation durant ces périodes définit non seulement une pluralité des identités écossaises mais également l’évolution des valeurs et croyances d’un peuple. Un renouveau ou bien une renaissance des vies présentes est distinctement appelée à la fin de chaque année tout en conservant les traditions du passé, ce qui montre le fondement d’une culture basé sur plusieurs influences et non créé sur des idéologies.

Bibliographie

∴ Donnachie Ian, Hewitt George.R, A companion to Scottish History from the Reformation to the Present, Batsford Ltd, 1991
∴ Fairlie Margaret, Traditional Scottish cookery, Robert Hale, London, 2010
∴ MacDonald Mary, Scottish shortbread, Hamlyn, Londres, 1995, 60 p.
∴ Macdonald of Macdonald Claire Baroness, Claire Macdonald’s Scotland: the best of Scottish food and drink, Boston : Little, Brown and Company, c1990
∴ Skene W.F, Chronicles of the Picts, chronicles of the Scots: and other early memorials of Scottish history, Edinburgh: H.M. General register house, 1867
∴ W.R.Powell, « West Ham: Industries ». A History of the County of Essex: Volume 6 (1973). pp. 76–89.
∴ Wall Joseph Frazier, Andrew Carnegie’s Hogmanay, or a child’s New Year in Calvinist
∴ Scotland, New York: Oxford University Press, 1970

Notes de bas de page

1Pictes: confédération de tribus brittoniques vivant dans le Nord et l’Est de l’Écosse.

2Columba: missionnaire irlandais introduisant le christianisme en Écosse.

3Old Scotland : terme désignant l’écosse avant le christianisme.

4Hogmanay: terme apparaissant durant l’Auld Alliance, il provient du français “Homme est né”.

5Yulebread: pain au levain ou à la farine de seigle préparé durant la période de Noël. Chaque membre de la famille recevait un Yulebread; celui qui y trouvait un petit présent aurait une année heureuse.

6A guid New Year to ane an’ a’ and mony may ye see: une bonne année à tous et chacun et que vous en voyez beaucoup d’autres.

7Gâteau de la douzième nuit.

8Keiller’s: entreprise fabriquant de la marmelade, première marque de marmelade originaire de la région de Dundee en Écosse.

9Marie Stuart (1542-1587): reine d’Écosse à la mort de son père Jacques V d’Écosse et épouse du roi de France François II.