Beetlejuice, Chef de demain?

1 OCTOBRE 2015 | PAR SOPHIE RAOBEHARILALA

Les œuvres de Tim Burton1 dépeignent bien souvent un monde d’horreurs, étrange et merveilleux à la fois, exagérant les traits de caractère humain. En 1992, la série animée Beetlejuice2 du même réalisateur, raconte Beetlejuicebioles aventures d’un héros fin gastronome de rampants. Peut-on y voir un Tim Burton visionnaire en matière d’alimentation? Et bien oui, car il semblerait que l’insecte devienne le roi de nos assiettes. En effet, la population mondiale augmente fortement au fil des siècles et l’on s’attend à être neuf milliards d’êtres humains en 2050, consommant et épuisant les ressources naturelles de la Terre; par conséquent elle pousse la science et les dirigeants à trouver de nouvelles solutions afin de subvenir aux besoins de chacun. Parmi les solutions évoquées se trouvent la consommation d’insectes et leur intégration dans les repas en tant qu’ingrédient. Toutefois contrairement à la fiction, le gastronome réel est-il prêt à accepter un tel bouleversement alimentaire? Quels sont les organismes, moyens et subterfuges mis en place pour préparer la transition et faire face aux conséquences?

 

La préoccupation écologique vis-à-vis de l’exploitation et de la préservation des ressources naturelles n’est plus à présenter. Parmi les mouvements la promouvant, beaucoup s’intéressent à l’alimentation et à la manière de sortir du cercle de surconsommation, à l’instar de New Harvest3 qui développe des alternatives à la production traditionnelle de viande tout en sensibilisant la recherche et l’éducation. Son but est d’agrandir le marché des substituts de viande en exploitant la production animale in vitro4 ainsi que les alternatives végétales, afin de proposer une solution économiquement avantageuse et potentiellement capable de résoudre les problèmes liés à l’élevage et à la production animale dans le monde. Ces substituts se trouvent déjà sur le marché, vendus par les distributeurs dits “bios” et destinés à une clientèle végétarienne et/ou végétalienne: ainsi est-il possible de s’approvisionner en steak de soja dans presque tous les supermarchés.

 

Mais ce premier pas vers une nouvelle alimentation soucieuse de l’avenir reste destiné à une niche en Europe, contrairement aux autres continents qui consomment depuis longtemps d’autres produits alternatifs à la viande. Les insectes sont la première alternative répandue dans le monde avec 1400 variétés différentes consommées en Afrique, Asie et Amérique.5 L’entomophagie, tabou en Occident mais pratique nourrissant 2,5 milliards de personnes dans le monde, est très certainement l’alternative la plus naturelle et la plus controverse. Son développement s’explique par l’inégalité dans la répartition mondiale de production de viande: nourrir la population mondiale reviendrait à doubler la quantité de viande, hors la surface agricole mondiale ne le permet pas.

La FAO6 déplore une “pratique qui s’affaiblit en raison de l’influence des cultures occidentales. (…) Notre rôle est de promouvoir cette gastronomie et de lutter contre la vision qui considère que l’entomophagie est un tabou”, déclare Paul Vantomme, spécialiste des forêts à la FAO. Et pour cause, ces propos illustrent l’accueil européen réservé à cette pratique. L’idée d’insecte est indubitablement liée aux nuisances plutôt qu’à la nature et de fait, l’insecte se voit porteur numéro un de maladies dans l’esprit occidental, argument non fondé car les insectes consommés proviennent d’élevages afin de garantir une fiabilité de marchandise, préserver la biodiversité et ne pas mettre des espèces en danger. L’exception européenne toutefois, se trouve aux Pays-Bas. Les scientifiques de Wageningen soutenus par les autorités ont lancé un programme financé par le Ministère de l’Agriculture visant à mettre en avant et inclure l’alimentation à base d’insectes et leurs propriétés dans le quotidien européen et non aux populations mal-nourries uniquement.

Ces aliments sont riches en protéines avec un taux atteignant 75% sur extrait sec. De plus leur taux de matières grasses est faible, 2,2% pour des criquets et grillons. Consommé à l’état larvaire, les insectes contiennent davantage de graisses mais ont un fort taux de vitamines et minéraux. Le Dr. Marcel Dicke7 souligne également que contrairement aux croyances, l’insecte est une source de nourriture plus sûre, transmettant moins de maladies que l’animal (par exemple la grippe aviaire), celui-ci ayant moins de maladies en commun avec l’Homme. Contrairement à l’élevage de bétail, l’impact environnemental de l’élevage d’insectes est moindre avec d’une part une production minime de gaz à effets de serre et d’autre part une faible utilisation de produits agricoles avec un taux de rentabilité performant: 10kgs de nourriture animale donnant 9kgs d’insectes contre 1kg de bœuf.

 

La consommation d’insectes varient d’un pays à l’autre, les préparations également selon le goût et la forme, allant du vivant au caramélisé, proposé comme plat unique ou comme accompagnement. 11944802014_822f5668a1_oLes principales familles d’insectes consommés dans le monde sont les punaises, les fourmis abeilles et guêpes, les sauterelles et criquets et enfin teignes et papillons. En Thaïlande, les insectes sont récoltés en forêt et sont consommés dans certaines régions pour éviter la famine. Cependant ils sont majoritairement appréciés pour leur goût dans tout le pays et tiennent le rang de met de choix: 200 espèces sont préparées en tant que condiments, ingrédients, apéritif, plat ou encore dessert. La gastronomie thaïlandaise inclut ce type d’alimentation dans son quotidien à tel point que la profession de vendeur d’insectes s’est développée en national et en international avec de l’exportation d’insectes vers l’occident.

L’université de Wageningen s’est essayée à la cuisine à base d’insectes, proposant des menus composés de quiches aux larves par exemple. Cette nouveauté devrait perdurer au moins le temps du projet.

 

En plus de son impact positif sur l’environnement, l’entomophagie a des fins médicinales découvertes et utilisées d’une part par les populations habitants les forêts et dépendant de cette source de nourriture, d’autre part par les autres populations dans le monde qui la pratique. De manière générale, leur teneur en protéines permet de réduire la tension artérielle. Quelques exemples: le thé noir Chongcha à base de chenilles hydrillodes moroses est un antioxydant et antiprolifératif. De même le vin chinois à base de fourmis polyrhachis possède des vertus contre l’hépatite B et les rhumatismes.

 

L’entomophagie serait donc la solution de demain pour palier aux besoins nutritionnels de la population mondiale: cependant comment combattre les idées reçues de l’Occident à ce sujet? Il serait bon de rappeler à l’Europe que cette pratique était en vogue durant 7174078163_9280c98b7a_ol’Antiquité avec la consommation de cigales entre autre dans le bassin méditerranéen. D’après le Dr.Dicke, la solution réside dans la transformation du produit afin de rendre l’insecte invisible, suivant la démarche de l’université de Wageningen consistant “à extraire les protéines pour ne plus avoir à manger l’insecte en entier”. On observe que les changements “chocs” dans l’alimentation s’accompagnent souvent d’une tendance: la consommation de poisson cru en Europe a également débuté par une polémique; aujourd’hui elle s’est banalisée avec l’apparition d’une quantité importante de restaurants/bars à sushis. Il en sera peut-être de même avec les insectes: des entreprises telles que Micronutris8 se sont lancées dans la vente d’insectes alimentaires élevés en France ainsi que dans le développement de produits alimentaires à base d’insectes. On trouve également des sites internet dédiés à la promotion de cette pratique, proposant achat de produits et recettes. La sucette scorpion à la myrtille aura-t-elle un jour toutes ses chances chez Guignol?

 

Bibliographie

∴ Guillou Marion, Matheron Gérard, 9 milliards d’hommes à nourrir: “un défi pour demain”, 2011

 

∴ Kitous Bernhard, Les alicaments : “enjeux et scénarios”, 2003

 

∴ Robin Marie-Monique, Les moissons du futurs :”Comment l’agroécologie peut nourrir le monde”, 2012

 

∴ S.Much, Serge Schall et Yannick Fourié, Insectes comestibles, 2012

 

∴ This Hervé, La cuisine note à note : “En douze questions souriantes”, 2012

 

∴ Émission radio Europe 1 du 10/08/2011 “Mangeons des insectes”

 

∴ Nations Unies – “FAO: les insectes, bestioles répugnantes ou plat délicat?”, 19 Février 2008

 

∴ Le Monde – “Les vaines promesse des alicaments”, Antonin Sabot, 16 Avril 2010

Notes de bas de page

1 Tim Burton (1958-): réalisateur, scénariste et producteur américain

2 Beetlejuice: série animée américaine créée en 1989 par Tim Burton d’après le film éponyme se déroulant dans un monde entre la vie et la mort.

3 New Harvest: organisation à but non-lucratif promouvant la recherche dans le développement de la viande in vitro et les alternatifs alimentaires.

4 la production en culture ou in vitro consiste à sélectionner des cellules animales qui seront mises en milieu riche en nutriments pour favoriser leur multiplication. Par la suite les cellules peuvent être modifiées afin d’augmenter leur taille ou quantité de protéine avant d’être récoltées puis consommées sous forme de viande traitée sans os telle que la saucisse.

6 FAO: Food and Agriculture Organization: organisation des Nations Unies créée en 1945 dont l’objectif est d’aider à construire un monde libéré de la faim”.

7 Marcel Dicke: professeur en entomologie à l’université de Wageningen, titulaire du NWO-Spinoza

8 Micronutris: société française produisant et commercialisant des insectes alimentaires et dont le but est d’intégrer nutrition, santé et environnement.